#Cinéma « Charlotte ». Dessin animé de Eric Warin et Tahir Rana. Belle évocation de la vie de Charlotte Salomon, jeune peintre juive allemande, assassinée à Auschwitz
Avec les voix de : Marion Cotillard, Romain Duris, Anne Dorval…
Synopsis
Charlotte Salomon est une jeune peintre juive allemande, dont le destin bascule à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Face au tourbillon de l’histoire et à la révélation d’un secret de famille, seul un acte extraordinaire pourra la sauver. Elle entame alors l’oeuvre de sa vie…
Note 4/5. Film d’un graphisme sobre qui convient bien à l’évocation de la vie tragique de Charlotte Salomon. Sa production en France fut prolifique ; elle la confia à un proche peu de temps avant sa déportation et sa mort à l’âge de 26 ans. L'intégration de certaines de ses œuvres permet d'apprécier son talent ; on la considère aujourd'hui comme l'auteur du premier “roman graphique” Vie ? Ou Théâtre ?
L'évocation de l'empoisonnement de son grand-père peut étonner et sembler trahir une certaine cruauté de Charlotte ; mais l'explication, qui n'est pas donnée dans le film, semble liée au comportement "déplacé" de l'aïeul.
La musique est remarquable.
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Charlotte de Eric Warin et Tahir Rana |
Biographie. Qui êtes-vous, Charlotte Salomon ?
Née à Berlin le 16 avril 1917, Charlotte grandit dans la bonne bourgeoisie juive allemande. Elle a huit ans lorsque sa mère meurt ; Charlotte ne découvrira longtemps après qu’elle s’est suicidée, tout comme sa tante. La jeune Charlotte croise les esprits les plus brillants de la société allemande de l’époque : le physicien Albert Einstein, le compositeur Erich Mendelssohn ou encore le peintre Max Liebermann. Elle rêve de se consacrer au dessin et parvient à entrer à l’Académie des Beaux-Arts de Berlin, théoriquement fermée aux élèves juifs. Elle y étudie entre 1936 et 1938.
Elle part ensuite rejoindre ses grands-parents à Villefranche-sur-Mer, dans le sud de la France, chez Ottilie Moore. Cette riche Américaine d’origine juive accueille de nombreux réfugiés dans sa propriété de l’Ermitage.
Entre 1940 et 1942, Charlotte Salomon produira plus de mille trois cents gouaches.
Fin 1940, Charlotte et son grand-père sont arrêtés, en tant que ressortissants allemands, et internés à Gurs dans les Pyrénées. Ils y passent quelques mois et retournent à Villefranche, désormais en zone libre, à leur libération. En novemvre 1942, les Allemands envahissent la zone libre et commencent à déporter les Juifs qui y résident. Inquiète, Charlotte confie ses dessins à son ami, le docteur Moridis en lui disant : « C’est toute ma vie ». Dénoncés, Charlotte et Alexander sont arrêtés et déportés à Auschwitz. Charlotte, enceinte de cinq mois, est envoyée à la chambre à gaz dès son arrivée le 10 octobre 1943. Alexander mourra dans le camp en janvier 1944.
Après la guerre, Ottilie Moore confie aux parents de Charlotte, qui ont échappé à la déportation, sa série de gouaches intitulée Vie ? ou Théâtre ?. Elles sont désormais exposées au Joods Historisch Museum, le musée d’histoire juive d’Amsterdam.
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Charlotte de Eric Warin et Tahir Rana |
Vie ? Ou Théâtre ?, le premier “roman graphique” de l’Histoire ?
« Tous mes souvenirs sont là, même ceux que j’avais oubliés jusqu’à ce que je les peigne, et d’autres qui n’ont jamais eu lieu, qui n’en sont pas moins vrais. » dit Charlotte dans le film. Entre 1940 et 1942, Charlotte Salomon crée un roman graphique composé de 781 gouaches et plusieurs centaines de calques. L’ensemble - mêlant gouaches au format presque carré, textes et annotations musicales - remet en scène l’histoire de sa famille depuis la Première Guerre mondiale jusqu’à 1940. On y retrouve tous les personnages croisés dans sa vie, qu’elle rebaptise de manière amusante (Paula Lindberg, devient Paulinka BimBam). Cet ensemble monumental est réalisé à la gouache, avec les seules trois couleurs primaires. L’artiste calligraphie le récit, les dialogues et les indications musicales sur des calques. Charlotte Salomon alterne les portraits et les scènes de vie. Elle assemble plusieurs scénettes dans un même plan, parfois organisées dans ce qui ressemble à des cases, joue avec les perspectives, les aplats de couleurs, les textures, les échelles, de telle manière que c’est un monde qui s’ouvre aux yeux du spectateur.
La création d’un univers graphique ex nihilo exige de prendre un nombre presque infini de décisions. La première décision artistique a été de réaliser Charlotte en 2D, technique plus traditionnelle où presque tout est dessiné. « L’œuvre de Charlotte était graphique dans le sens où elle n’essayait pas de reproduire une ombre, une profondeur et une forme en trois dimensions. La 2D semblait donc convenir parfaitement. » explique le co-réalisateur Tahir Rana. Pour ne pas trahir l’Histoire, les cinéastes se sont astreints à un réalisme scrupuleux. Ils ont puisé dans les archives photographiques pour concevoir de nombreux décors, notamment l’Académie des Beaux Arts que Charlotte Salomon fréquente à Berlin, la synagogue en flammes devant laquelle elle passe lors de la Nuit de Cristal ou encore la gare de Nice. Ils ont également utilisé les quelques photographies existantes pour donner corps aux différents personnages, à commencer par Charlotte Salomon elle-même.
Mais ils souhaitaient également retranscrire la propre vision de Charlotte Salomon, et rendre hommage à son art. « Les personnages les plus proches - sa mère et son père - ont été modelés en fonction de leur apparence réelle mais aussi de la façon dont Charlotte les a peints dans Vie ? Ou Théâtre ? » explique Tahir Rana. Le cinéaste ajoute que d’autres partis pris esthétiques sont directement inspirés de la peinture de Charlotte Salomon : « Charlotte n’utilisait pas la couleur noire dans ses œuvres. Elle utilisait des bleus foncés et d’autres couleurs sombres, mais jamais de noir. Il n’y a donc pas de noir dans notre film, ce qui est très inhabituel dans l’animation. »
De même, les cinéastes ont choisi de marquer graphiquement les différentes étapes de la vie de l’artiste et de son développement artistique. « Le Sud de la France est très vibrant, les teintes sont très bleues, les couleurs très saturées. Et nous voulions faire un contraste avec Berlin, où nous avons utilisé des couleurs plus sombres, plus grises », souligne Tahir Rana. Initié par la productrice Julia Rosenberg, le film Charlotte a nécessité huit ans de travail et mobilisé une équipe internationale. Le co-réalisateur Tahir Rana éclaire quelques uns des choix qui ont présidé à la mise en scène.
« Et avec des yeux éveillés par le rêve, elle a vu toute la beauté qui l’entourait, elle a vu la mer, a senti le soleil, et a su qu’elle devait disparaître pour un temps du plan humain et faire tous les sacrifices afin de créer son monde à nouveau à partir des profondeurs. »
Charlotte Salomon pour "Vie ? Ou Théâtre ?"
Sortie le 9 novembre
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