#Cinéma « Sous les figues ». La cueillette des figues en Tunisie : marivaudage et conservatisme social. Un très beau film de Erige Sehiri
Le film a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022
Synopsis
Au milieu des figuiers, pendant la récolte estivale, de jeunes femmes et hommes cultivent de nouveaux sentiments, se courtisent, tentent de se comprendre, nouent - et fuient - des relations plus profondes.
Note 4/5. Unité de lieu : un champ de figuiers, plus précisément sous les figuiers. Unité de temps : une journée. Nous sommes sur une scène de théâtre, un huis clos en plein air. La lumière du soleil, que l’on devine intense, perle à travers les larges feuilles des arbres. De l’aube jusqu’au crépuscule des femmes jeunes et moins jeunes et quelques hommes cueillent des figues sous la direction d’un jeune patron qui a l’autorité brutale d’un propriétaire. Les jeunes femmes, Erige Sehiri aime filmer leurs beaux visages en gros plan, parlent facilement aux garçons, plus réservés. A travers le marivaudage qui s’installe, ils se connaissent tous, on sent un désir qui circule. Mais, ici à la campagne, les mentalités évoluent lentement, les frustrations affleurent parfois. Ces jeunes femmes qui souhaitent une émancipation, se heurtent au conservatismes social et religieux.
Les acteurs et actrices sont non professionnels ; cela se sent peu, leur jeu sonne juste. Le premier long métrage de Erige Sehiri est un très beau film.
Entretien avec Erige Sehiri
Quelle est la genèse de Sous les figues ?
Je collais des affiches sur les murs d’un lycée, pour un casting dans la région rurale du Nord-Ouest de la Tunisie - je voulais tourner un film sur des jeunes qui animent une radio - quand j’ai rencontré Fidé. J’ai eu un coup de coeur. Elle n’était pas spécialement intéressée par le casting, mais elle a fini par auditionner. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait pendant l’été. Elle m’a répondu qu’elle travaillait dans les champs, et m’a proposé de l’accompagner lors d’une journée de travail. Je suis donc allée voir ces femmes au labeur. À partir de là, j’ai décidé de changer complètement mon film ! Ces ouvrières agricoles m’ont émue. J’ai discuté avec elles de ce qu’elles vivent au quotidien, de leur manière de travailler, de leurs relations avec les hommes, du patriarcat : il y avait déjà tellement de matière ! Je tenais à donner un visage à ces travailleuses habituellement invisibles. Je me suis alors mise à écrire en écoutant en boucle L’Estaca, un chant contestataire né sous Franco. Dans sa version arabe tunisienne de Yesser Jradi, c’est un chant sur le labeur, l’amour et la liberté, que j’ai tout naturellement choisi comme musique pour le générique du film.
Comment avez-vous eu cette idée de huis clos à ciel ouvert ? Quelles étaient les contraintes liées à un tel dispositif ?
Le huis clos à ciel ouvert s’est d’abord imposé car j’avais besoin de lumière. Et nous avions aussi des contraintes économiques. Elles m’ont poussée à réfléchir à un dispositif, et j’ai choisi d’être radicale en décidant de tourner en extérieur, en lumière naturelle, à une seule caméra, sans machinerie, dans un seul décor principal. Nous étions absolument dépendants de la nature et de la météo. Durant les premiers jours du tournage, il n’y avait pas encore de figues et nous guettions leur apparition avec le propriétaire du terrain. Une fois que la cueillette a commencé, nous redoutions la pluie qui ferait mûrir les figues plus vite.
Comment le film s’est-il construit à partir de cette pluralité de personnages et de parcours ?
Je crois que dans ce film, tout était cueillette : les histoires, les parcours de vie, les lieux également car je suis allée visiter plusieurs champs de figuiers. Certains personnages sont arrivés alors que nous étions déjà en répétition. Le jeune garçon qui incarne Abdou (Abdelhak MRABTI), par exemple, est le dernier à avoir rejoint la distribution. J’allais cueillir des moments d’émotion par petites touches. J’apportais constamment des modifications aux scènes, dans les mots ou les intentions, tout était très organique et constamment en mouvement. J’ai discuté tout au long du tournage avec mes co-scénaristes Ghalya Lacroix et Peggy Hamann, et bien sûr ma directrice de la photographie Frida Marzouk.
Le désir circule sous ces figuiers, dans quelle mesure le marivaudage vous a-t-il inspirée ?
Évidemment, j’ai lu Marivaux, mais en plus de son influence, je dois évoquer celle d’Abdellatif Kechiche. Ma co-scénariste et co-monteuse est aussi Ghalya Lacroix, qui a écrit et monté une partie de ses films. À l’époque, je me retrouvais tout à fait dans le film L’Esquive car j’ai grandi, comme les personnages, dans une banlieue française. Dans ce film, les jeunes répètent une pièce de Marivaux d’ailleurs ! Le marivaudage des quartiers fait écho à ce marivaudage de la campagne où se trouvent aussi mes origines.
Ameni FDHILI Sana
Fide FDHILI Fidé
Feten FDHILI Melek
Samar SIFI Mariem
Leila OHEBI Leila
Hneya BEN ELHEDI SBAHI Hneya
Gaith MENDASSI Ghaith
Abdelhak MRABTI Abdou
Fedi BEN ACHOUR Saber
Firas AMRI Firas
Sortie le 7 décembre
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