Synopsis
Max, 8 ans et Leo, 5 ans quittent le Mexique pour s'installer à Albuquerque avec leur mère Lucia à la recherche d'une nouvelle vie. En attendant le retour de leur mère chaque soir, qui travaille sans relâche, Max et Léo observent leur nouveau quartier par la fenêtre. Ils doivent apprendre l'anglais sur des cassettes. La condition imposée par leur mère si ils souhaitent un jour réaliser leur rêver : aller à Disneyland…
«C'est une lettre d'amour adressée à ma mère.» Samuel Kishi Leopo
Note 3,5/5. Film hommage de Samuel Kishi Leopo à sa mère. Il montre, avec délicatesse, une femme courageuse, attentive, inquiète, et qui ne s’effondre pas devant ses enfants. Lucia a eu l’idée d’enregistrer sa voix au magnétophone pour maintenir le lien avec ses enfants pendant les longues heures où ils sont seuls, confinés dans le petit appartement qu’elle a réussi à trouver. Ce magnétophone est un instrument d’éducation : il s’agit d’apprendre des rudiments d’anglais aux enfants. Il contient aussi les règles de vie : ne pas sortir, ne pas salir…
Le milieu extérieur est à priori hostile ; mais la tentation est grande d’aller rejoindre les enfants qui jouent. Les enfants ont dessiné deux loups (d’où le titre los lobos ) sur un mur. Le réalisateur en tire habilement un dessin animé représentant leur imaginaire.
Par quelques images en plan fixe, Samuel Kishi Leopo décrit les quartiers pauvres d’Albuquerque et leurs habitants.
Les enfants apprendront que Disneyland est loin, dans le temps et dans l’espace ; c’est ainsi qu’ils feront l’apprentissage de la vie.
Martha Reyes Arias interprète remarquablement le rôle de Lucia.
Samuel Kishi confie que Los lobos est un film en partie autobiographique :
« Nous sommes allés en Californie, aux États-Unis, à la recherche d’une vie meilleure. Ma mère nous laissait enfermés dans un petit appartement pendant qu'elle allait travailler. Elle s'enregistrait à l’aide d’un magnétophone afin de nous raconter des histoires, des contes, les règles de la maison et nous disait : "Appuyez sur play si je vous manque". Aussi, nous mettions en scène les histoires et commencions à construire un imaginaire grâce à notre mère et à "la maman enregistreuse". C'est de là que vient l'histoire. C'est une lettre d'amour adressée à ma mère. »
Une organisation dichotomique de l’espace
Lucia et ses trois enfants vont occuper et louer un appartement au sein d’un motel tenu par un couple de chinois. C’est le lieu le moins insalubre, sans trop grande promiscuité, que la mère trouve en arrivant dans la ville d’Albuquerque. Alors que Lucia part tous les jours travailler, cumulant divers emplois du matin au soir, les deux frères doivent rester à l’intérieur de l’appartement. Leur seule ouverture sur l’extérieur est la fenêtre de la chambre/salle à manger depuis laquelle ils observent la vie quotidienne des enfants et des habitants du motel. Lors des observations, ils sont généralement filmés de dos en caméra subjective ou semi-subjective. Le cadre de la caméra redouble le cadre de la fenêtre et insiste sur l’enfermement et la posture passive ou de spectateur de Leo et Max. La défense de sortir qu’impose Lucia comme règle à ses enfants ainsi que la stricte division de l’espace font de l’extérieur le lieu de tous les dangers. Ces deux éléments révèlent le sentiment de peur et la réaction de protection de la part du nouvel arrivant face à l’inconnu.
Au milieu des scènes de fiction apparaissent par moments des prises de vue réelles sur la ville et les quartiers humbles d’Albuquerque. Elles montrent des habitats insalubres, construits de bric et de broc, où les familles vivent dans des espaces très réduits. Différents portraits d’habitants filmés en plan fixe et regard caméra ouvrent les premières séquences puis referment le film. Ils révèlent à travers les traits et les corps fatigués, parfois drogués, une population en souffrance. L’un des fils rouges du film est le motif de l’ampoule qui fait l’objet d’un double sens tout au long du film. On a raconté aux enfants que leur père avait disparu « à cause » ou « via » l’ampoule (« se fue por el foco »). Aussi, Max et Léo comprennent tout d’abord l’expression dans son sens propre. Mais lors de la fête d’Halloween et de la fête des morts, Max aperçoit un homme en train de se droguer au moyen d’une ampoule. A la vision de cet homme, Max semble faire le lien avec le destin de son père.
Aussi, Los lobos est un film initiatique ou d’apprentissage : Max passe de l’enfance à l’âge adulte de manière abrupte. Ces images de corps fatigués et d’habitats insalubres sont le négatif de la photo du rêve américain, un espace à l’opposé des paillettes que promet le parc de loisirs Disney dont rêvent tant Leo et Max. C’est aussi le monde cruel et réel des adultes et des enfants pour lesquels tous les rêves sont possibles qui s’affrontent au sein du film. Mais Lucia tente de maintenir malgré tout ses enfants dans l’insouciance propre à l’enfance afin de les protéger de la dure réalité, qui plus est dans un pays étranger.
Los lobos de Samuel Kishi Leopo |
L’imaginaire : le troisième espace
Lucia stimule l’imagination de ses enfants à travers des jeux éducatifs et des histoires. L’objet du magnétophone est le centre de cette stimulation. Elle enregistre des exercices de mémorisation pour qu’ils apprennent l’anglais et les règles de vie nécessaires à la cohabitation des deux frères dans l’appartement pendant son absence. Ce sont aussi des outils pour que la famille reste forte malgré la distance avec le Mexique et la vie dans un pays étranger. Le magnétophone entretient aussi le lien avec le passé et leur pays d’origine. Sur l’une des cassettes, on entend la voix du grand-père et les quelques notes jouées à la guitare par celui-ci. Aussi, l’espace de la salle à manger/chambre devient la salle de jeux de Max et Leo où ils transforment et subliment les quelques invasions de la dure réalité de l’extérieur. Lorsque le couple de voisins se disputent et que leurs voix envahissent l’espace intime de Max et Leo, ces derniers se mettent à imiter de manière parodique les échanges en anglais et effacent ce hors-champ sonore violent et envahissant. Les deux garçons s’inventent même leurs propres avatars : deux louveteaux qu’ils dessinent sur les murs du salon et qui par moments prennent vie. L’évasion grâce à l’imagination devient alors totale. Grâce à ces deux personnages, Max et Léo se dotent de supers pouvoirs qui leurs permettent de faire face à l’adversité venue de l’extérieur.
C’est aussi une manière d’exprimer leurs peurs et leurs douleurs de manière détournée lorsque les faits sont trop difficiles à formuler sous forme de mots. De fait, le monde merveilleux qu’ils se sont créé grâce à leur mère n’est pas insubmersible. Les appels ou les agressions de l’extérieur sont si forts que les murs de leur écrin finissent par se fissurer.
Los lobos de Samuel Kishi Leopo |
Une frontière poreuse
Deux séquences au sein du film rattrapent les rêves de la famille et ont raison de l’insouciance de deux jeunes frères. Max s’est lié d’amitié avec un groupe de jeunes enfants et pré-adolescents, eux aussi d’origine latino-américaine. Toutefois, ces derniers sont arrivés depuis un moment ou sont nés aux Etats Unis. Ils parlent couramment l’anglais. Seul Kevin intègre Max dans le groupe en rappelant aux autres qu’il ne parle pas anglais. Il se montre bienveillant. C’est pourtant lui qui volera, d’après Leo, la boite de chips où Lucia cachait les économies de la famille. En effet, un jour, le groupe fait irruption dans l’appartement de la famille. Ils fouillent sans permission le salon, la cuisine et la salle de bain. Un des garçons danse même avec une lingerie de Lucia sur la tête. L’intrusion dans la vie privée atteint alors son paroxysme. Max, trop petit, ne parvient pas à enlever la lingerie de la tête de l’adolescent. Leo reste prostré dans un des coins du salon. Le point de vue est interne : la scène est filmée à hauteur des deux garçons, ce qui insiste sur leur impuissance face à la situation. Par ailleurs, le vol entre enfants pauvres rappelle le « cinéma de la cruauté » de Luis Buñuel, lequel sans juger ses personnages, comme ceux dans Los olvidados, montre que la misère ne rend pas aimable.
Après avoir perdu ses économies, Lucia s’effondre de manière silencieuse dans la salle de bain. Elle est dos au miroir, ce miroir à qui elle souriait à son arrivée afin de se donner du courage. Ces deux séquences en miroir montrent que la réalité de sa condition d’immigrée a finalement raison de son enthousiasme initial. En effet, jusqu’à présent, le cumul d’activités, la fatigue, la difficulté liée aux papiers, l’absence du père de ses enfants et la détérioration accidentelle de la cassette sur laquelle est enregistrée la voix de son propre père (seul souvenir de ce dernier) n’étaient pas encore parvenu à l’atteindre totalement.
Los lobos de Samuel Kishi Leopo |
Malgré tout, la porosité de la frontière entre le monde extérieur et intérieur est aussi synonyme de solidarité. Mme Chang, qui gère avec son mari les locations du motel, tend la main à plusieurs reprises aux enfants puis à la mère. Elle apporte un équilibre et une protection à la famille.
La gérante emmènera même Max et Leo faire le tour du quartier le jour d’halloween et de la fête des morts afin que les enfants réclament les traditionnels bonbons. Cette séquence est l’occasion de voir un espace métissé où s’exprime au milieu des habitats à l’évocation mexicaine et nord-américaine un syncrétisme religieux. En effet, les citrouilles et têtes de morts ou squelettes se côtoient. Certaines familles mexicaines sont plus puristes et installent l’autel des morts sur lequel sont disposés photos, cadeaux et mets. Alors que Lucia et les enfants ne s’y attendent plus, les économies de la famille réapparaissent au cours de la nuit de cette fête magique. C’est la bienveillance qui l’emporte finalement, symbole d’une première intégration à ce territoire multiculturel. Le film déploie toute une rhétorique du conte. L’espace privé est celui de la protection alors que l’extérieur incarne le danger. Cependant, afin d’atteindre leurs objectifs, la famille doit affronter différents obstacles. Sur le chemin du bonheur, elle rencontre non seulement des adversaires mais aussi des adjuvants qui lui permettent d’atteindre finalement un de leurs objectifs : partager un moment en famille dans un parc de loisirs. Plus que la journée en elle-même, c’est le bonheur d’être ensemble que l’une des dernières séquences révèle. Leur persévérance est récompensée et l’amour triomphe de tout : voilà les deux messages du film. Ces qualités permettent tout du moins d’éclaircir l’horizon et d’entrevoir des jours meilleurs comme le montre la dernière séquence qui modifie la séquence initiale. Alors que Max répond « nada » à sa mère quand elle lui demande ce qu’il voit au tout début du film, il ne répond pas lorsque la scène se répète à la fin. A la place de « nada », la caméra donne à voir un plan fixe sur les trois membres de la famille réunis.
Liste artistique
Martha Reyes Arias,
Maximiliano Nájar Márquez,
Leonardo Nájar Márquez
Sortie le 19 janvier
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