#Critique "La Croisade" . Petit divertissement sur le réchauffement climatique de Louis Garrel


Le film a fait partie de la section éphémère "Le cinéma pour le climat" du Festival de Cannes 2021.

Synopsis
Abel et Marianne découvrent que leur fils Joseph, 13 ans, a vendu en douce leurs objets les plus précieux. Ils comprennent rapidement que Joseph n’est pas le seul, ils sont des centaines d’enfants à travers le monde associés pour financer un mystérieux projet. Ils se sont donnés pour mission de sauver la planète.

Note 3/5. Joseph n’est pas raisonnable : il a pris le manteau Dior de maman, les livres précieux du grand-père («ils étaient écrits en latin, personne ne peut les lire»), les montres de collection de papa (il en a quand même laissé une) et ses plus prestigieuse bouteilles de vin. Il a tout vendu et reste mystérieux sur ce qu’il a fait de l’argent. La clé du mystère est dans une forêt, de nuit.
Autour du thème du réchauffement climatique, Louis Garrel brode un petit divertissement. Petit car le film est court, divertissant au sens propre car le réalisateur nous détourne du sujet pour broder autour,  sur les sentiments amoureux (une petite scène de ménage sans conséquence), les siens et ceux de son fils (une amorce de triangle amoureux d’adolescents).
Ce n'est pas un film militant mais Greta Thunberg semble en être la figure tutélaire.
L’écriture de Garrel (et celle de Jean Claude Carrière qui a participé au scénario), sa mise en scène sont légères...et divertissantes. Tout cela a petit aspect improvisé ; Garrel s’amuse et nous invite à nous amuser avec lui.
Laetitia Casta, Joseph Engel, Louis Garrel dans La Croisade de Louis Garrel

Entretien avec Louis Garrel
L’idée de La Croisade est-elle venue de débats que tu as pu avoir avec la jeune génération ?
Pas du tout ! C’est beaucoup plus fou. On rentrait de New York avec Jean-Claude (Carrière) et il m’annonce qu’il a eu une très bonne idée de scène dans l’avion. Il avait souvent plein d’idées au-dessus des nuages. À Paris, il me lit cette scène, qui allait devenir la première séquence de La Croisade. Je lui dis, « mais c’est aberrant ! »… des enfants qui se passionnent pour l’écologie ! Je trouvais que c’était une idée d’adulte qu’on mettait dans la tête d’enfants, ça me gênait, ça ne me semblait pas juste. J’en parle avec des amis, je leur lis la scène, et tous trouvaient comme moi que ça sonnait faux. Jean-Claude en a été un peu vexé, parce qu’il était sûr de lui. Trois mois passent, et j’apprends à la télévision qu’une adolescente suédoise a entamé une grève de la faim parce qu’elle se mobilise pour l’écologie et ne supporte plus que personne ne fasse rien. C’était Greta Thunberg. J’appelle Jean-Claude : « Tu es devant ta télévision ? ». Il n’avait pas encore vu. Je lui ai dit que c’était extraordinaire, exactement comme dans la scène qu’il avait écrite. Et quatre mois plus tard, il y avait toutes ces manifs de gosses.

On peut dire Jean-Claude a été prophétique !
Il a été un des premiers à s’intéresser à l’écologie, il a même écrit un livre sur le sujet (Le Pari, 1972) où il évoquait toutes les questions actuelles. Il m’a conseillé de me dépêcher de faire ce film faute de quoi j’aurais l’air de courir après l’événement. Et c’est en effet ce qui est en train de se passer, la preuve avec votre première question. Ce qui me plaît, c’est que La Croisade a un côté « en direct », mais si j’avais écouté Jean-Claude tout de suite, j’aurais été en avance ! J’ai été trop pleutre, ou pas assez visionnaire. Mais à l’époque, ce sursaut
collectif quasi-anthropologique des jeunes n’existait pas encore.

Ce « retard à l’allumage » n’enlève rien à la pertinence politique du film ni au plaisir que l’on peut prendre à le regarder…
Je pense que le film fonctionne avec cette sensation de « direct », et grâce aux enfants. Si j’avais fait ce film avant que les jeunes se mobilisent, on l’aurait trouvé faux, et utilisant les enfants. Personne ne pensait qu’âgés de 10 ou 12 ans, des enfants se mobiliseraient ainsi.
Quand je commence le film, ce n’est pas du tout par militantisme, au contraire, je regarde ces enfants parce qu’ils me sont étrangers. Ma position de metteur en scène et mon rôle de père dans le film m’aident à avoir du recul. Cette position critique me permet de faire le film. Je n’ai pas fait ce film en disant au spectateur « il faut absolument écouter ces gentils enfants ». Rien de plus insupportable
qu’un film militant radical. La Croisade est plus dialectique.
Laetitia Casta, Louis Garrel dans La Croisade de Louis Garrel
As-tu choisi la tonalité d’une comédie légère pour contrebalancer le côté grave du sujet, pour éviter la leçon lourdingue ?
Avec l’humour, on ouvre plus de portes chez les gens. Le problème avec la plupart des films militants, c’est qu’ils ne laissent aucune place au spectateur. Ils donnent des réponses toutes faites, ils définissent le Bien et le Mal et le spectateur n’a plus qu’à suivre.
Avec un traitement humoristique, le spectateur a la place. Le principe de la comédie est de pousser la réalité un peu plus loin. C’est exactement la première scène : jusqu’où le gamin est-il allé ? Le spectateur peut ainsi ressentir le plaisir d’une comédie qui en plus repose sur une inquiétude existentielle. J’aimais bien cette idée de traiter un sujet très angoissant de manière allègre.

La première séquence est drôle pour son contraste : les parents sont décontenancés par l’action de Joseph, leur fils, qui a vendu leurs biens sans lesprévenir. Ce que fait Joseph est a priori choquant mais n’est-ce pas finalement juste ?
Oui, il a vendu leurs vêtements, leurs objets, leurs vins… On peut se débarrasser du superflu, du luxe. On a tous des objets à la maison dont on ne se sert pas mais dont la seule présence nous rassure. Dans ce que Joseph a vendu, il n’y a rien de vital. Imagine qu’on vende tout le superflu du monde, on ferait une cagnotte géniale pour des projets écolos. L’idée des gosses est bonne.

La Croisade met le doigt sur un aspect qui me sembleimportant : ce qui choque chez Greta Thunberg et les enfants suivant son engagement, ce n’est pas tant leurs idées que leur âge. On a du mal à accepter que des mineurs s’emparent de sujets à priori réservés aux adultes ?
Oui, je crois. Si rien ne se passe, s’il n’y a aucune politique écologique suivie d’effets  on n'est pas à l’abri d’actions plus violentes.
La Croisade de Louis Garrel

Revenons à Greta Thunberg, qui semble la figure tutélaire de ce film. Sans être militant écolo, tu l’admires comme une figure cruciale de notre temps ?
Au début, elle a dit « il faut s’occuper de la question
éco ogique ». Elle est sans doute confrontée à sa propre disparition quand elle entend que la planète deviendra inhabitable dans cinquante ans. Donc elle dit qu’il faut tout arrêter maintenant. On se dit qu’elle exagère, qu’elle est trop radicale. Puis le Covid arrive et nous voilà tous confrontés à notre propre mort, tout de suite. Et on a su tout arrêter en deux secondes avec les confinements ! Je me mets à la place des adolescents de 15 ans, ils doivent être verts de colère et se dire « pourquoi ils le font pour eux mais pas pour nous ? ».

La séquence de pollution aux particules fines fait penser à la situation du Covid. Le film a été écrit avant la pandémie ?
Je l’ai écrit et tourné avant le Covid, puis on s’est interrompus pendant le confinement au moment du tournage de cette scène. J’ai demandé à un copain de me filmer avec son téléphone dans les rues vides de Paris. Quand le Covid est survenu, il y a eu les mêmes réactions de scepticisme que face au réchauffement : « non, c’est pas possible, c’est une grippette, etc ». Il a fallu que les morts s’entassent
pour qu’on se rende compte que c’était grave, qu’il s’agissait d’une épidémie mondiale. Le concours de circonstances a fait qu’il y a eu écho entre cette scène d’alerte aux particules et le Covid. Il y a un
truc avec ce film : on commence à écrire, il n’y a pas les enfants, puis les enfants arrivent sur le devant avec Greta Thunberg. On écrit l’alerte aux particules et bing, le Covid survient. Du coup, je parie que déplacer de l’eau en Afrique sera possible.
Je ne le verrai peut-être pas de mon vivant mais ça arrivera. Le désert sera mieux oxygéné, il y aura de la pluie, des cultures, etc. Il ne faut pas oublier qu’à une époque lointaine, cette partie désertique de l’Afrique était verte.

C’est une fin de conte ou de fable…
J’aime bien que le film tende vers le rêve, l’utopie. Ce qui n’empêche pas des passages plus angoissants comme la séquence de l’alerte. J’ai pensé au film de Peter Watkins, La Bombe, où il filme une simulation d’attaque nucléaire. Cette séquence de La Croisade
est une alerte dans le film et aussi une alerte pour les spectateurs, qu’ils se disent « faudrait pas qu’une telle chose arrive un jour… ». À la fin, il est logique que la mère incarnée par Laetitia (Casta) soit à l’écran et pas le père, joué par moi. La mère est moins sceptique que le père, elle adhère plus rapidement au projet des enfants. On pense qu’elle est naïve, mais en fait, elle est juste logique. La fin est un mirage, un mirage de cinéma qui veut dire que le film lui-même
croit au projet utopiste.

Liste artistique
Marianne - Laetitia Casta
Joseph - Joseph Engel
Abel - Louis Garrel
Clotilde-  Ilinka Lony
Lucie – Julia Boème

Sortie le 22 décembre 

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