#Critique « Chère Léa ». Une comédie parisienne délicatement ouvragée de Jérôme Bonnell


Synopsis
Après une nuit arrosée, Jonas décide sur un coup de tête de rendre visite à son ancienne petite amie, Léa, dont il est toujours amoureux. Malgré leur relation encore passionnelle, Léa le rejette. Éperdu, Jonas se rend au café d’en face pour lui écrire une longue lettre, bousculant ainsi sa journée de travail, et suscitant la curiosité du patron du café. La journée ne fait que commencer…


Note 4/5. Film élégant, fin et plein d'humour. Les questions d'amour , l'incommunicabilité entre homme et femme, sont traitées avec légèreté, sans drame. Dans cette histoire, le patron du café tient le rôle d'un grand sage. Excellente mise en scène, excellente distribution, la musique en harmonie.

Chère Léa de Jérôme Bonnell

Entretien avec le réalisateur Jérôme Bonnell
Comment est né CHÈRE LÉA ?
C’est une conjonction de désirs et de circonstances. J’avais écrit un film qui n’a pas vu le jour, faute de financement (depuis, devenu une série pour Arte). Dépité, j’ai eu envie d’un projet moins coûteux, que je tournerais quoi qu’il arrive. Par ailleurs, je me posais beaucoup de questions sur mon métier, sur la consommation effrénée des images et de l’information, qui rendent, à mon sens, la place du cinéaste de plus en plus difficile à caractériser. Alors j’ai pensé aux fondamentaux du cinéma, je suis parti à la recherche d’un geste quasi-originel, en me disant : choisissons un cadre, et mettons autant de soin dans ce qui est montré que dans ce que l’on cache. J’ai eu l’idée d’un film sur le hors-champ : un hors-champ temporel, géographique, et, précisément, le hors-champ de la passion amoureuse. Un homme reste coincé dans le même endroit toute la journée, tout en ne cessant de répéter : «je vais partir, je pars». Et en fait, il reste… Ce qui est une allégorie de cet état de passion : on se croit lucide, on se dit «j’arrête», on claironne ses bonnes résolutions, on sait que cette histoire nous fait trop de mal, mais on n’arrive pas à y mettre fin. Car les personnes à convaincre sont bien moins les autres que soi-même.
Et puis, le récit résonnait avec mon film Le Temps de l’aventure : j’avais fait le portrait d’une femme sur une journée, ce serait quoi le portrait d’un homme sur la même durée ? Je me suis plu à dire que ce serait mon premier film d’homme : jusque-là je me suis beaucoup caché derrière des personnages féminins, une façon très agréable d’être à la fois plus libre et plus à l’abri. Pour raconter la journée
d’un homme, il fallait que je me remonte un peu les manches, que je me mette plus à nu. Il était temps…
Chère Léa de Jérôme Bonnell
Comment s’est déroulée l’écriture ?
Je voulais un film tout simple, mais dont l’histoire serait suffisamment puissante émotionnellement pour que le spectateur imagine facilement ce hors-champ qu’est la relation entre Jonas et Léa… Qu’il se figure cette succession de ruptures et de réconciliations, parce que, bien sûr, ce n’est pas la première fois qu’ils rompent puis se retrouvent. Ils ont probablement été ensemble deux ou trois ans, un festival de départs et de retours. « Je vais parler à ma femme », « mais je ne te demande rien », « si, si, je vais lui parler », « alors, tu lui parles quand ?»
Avec, au bout du compte, cette situation un peu cruelle : il a finalement quitté sa femme, mais c’est à ce momentlà que sa maîtresse ne veut plus de lui, parce qu’il n’y a plus d’obstacle et qu’elle a trop attendu. Tout cela, je l’ai raconté aux comédiens pour qu’ils s’en nourrissent, mais je n’avais pas besoin que les spectateurs soient précisément au courant.

Un homme dans un café, un chef d’entreprise perturbé par ses sentiments, on a du mal à ne pas penser à Claude Sautet…
Claude Sautet et François Truffaut m’ont marqué à vie, c’est sûr. Mais le cinéaste français le plus fondateur pour moi, c’est Jacques Becker. Et pas tant pour ses films les plus populaires, Le Trou ou Casque d’or, que pour Édouard et Caroline, Antoine et Antoinette, Rendez-vous de juillet, que j’ai vus très jeune et que je vénère, à cause de leur apparente légèreté, de la vie incroyable à l’intérieur de chaque plan, où le cinéaste saisit l’esprit du temps, des rues de Paris, et touche l’universel sans en avoir l’air.
Cela dit, si la vie de quartier faisait bien partie de mon projet, je voulais éviter un film trop parisien. Je voulais donner le sentiment que cette histoire aurait pu se passer n’importe où, et presque n’importe quand. Je voulais éviter le côté franchouillard, la truculence de l’amitié virile, les bonnes répliques qui vont avec. Ou alors, en souligner le léger ridicule. Je vais très souvent au café, je peux passer des heures à regarder ce qui s’y passe, je voulais rendre
justice à cela. Au moment des repérages, j’ai beaucoup arpenté Paris pour trouver le café idéal, ni trop branché,ni trop convenu. Jusqu’à trouver celui qui me convenait dans le 12ème arrondissement. Mais ce que j’ai fait le plus, avant de tourner CHÈRE LÉA, c’est revoir des westerns…

Pourquoi ?
Cela rejoint l’idée mon premier film d’homme : le western, c’est le geste des gestes de cinéma, c’est la perpétuelle question de l’homme et de l’espace. Souvent des intrigues assez brèves, racontées dans une unité de temps et de lieu, parfois autour d’une seule rue. J’en ai beaucoup regardé, d’une façon un peu boulimique, je suppose que cela a infusé en moi : j’ai eu envie de retrouver ce que je faisais sur mes premiers films, un nombre réduit de gros plans, des personnages souvent filmés ensemble, en plan large ou américain, de façon à être fidèle à l’espace, à la distance émotionnelle et géographique entre les êtres.
Chère Léa de Jérôme Bonnell
Évidemment, le western pose aussi la question de la virilité, ou de la masculinité, qui est au coeur du film. C’est intéressant que sous ses airs fragiles, Grégory Montel soit en fait aussi viril, c’est probablement d’autant plus inattendu de sa part d’écrire une telle lettre, et il s’en étonne lui-même ! J’avais commencé la note d’intention du scénario par cette phrase : «C’est pas la gloire d’être un homme.» Je voulais interroger la fragilité du masculin, l’insupportable indécision des hommes, trop peu traité au cinéma, à part, peut-être, par Truffaut dans La Peau Douce… Mon personnage met mille ans à quitter sa femme, mille ans à revenir vers sa maîtresse, mille ans à se séparer d’un associé véreux. C’est l’histoire d’un homme qui fait tout trop tard… Dans les grands westerns, pour revenir à eux, la figure de l’homme doux, par exemple James Stewart ou Glenn Ford, aux prises avec une situation violente et virile est toujours un contrepoint émouvant…

« Vous avez trop d’émotions, ça vous empêche de penser. » Peut-on dire que cette réplique de Majoux synthétise le film ?
C’est un résumé un peu cruel et un peu vu de haut. Je suis plutôt du côté de Jonas, à me dire que c’est bien d’être sensible, d’avoir des émotions, sans être trop complaisant avec elles. C’est le paradoxe de la souffrance amoureuse qui est une souffrance qu’on est presque heureux d’éprouver.
Le coeur du film, ça pourrait être quand Léa lui dit : « Tu es amoureux de ta tristesse. » A cela, s’ajoute la vieille question : qu’est-ce que ça veut dire être amoureux ? Est-ce qu’on aime l’autre ? Ou soi-même dans le regard de l’autre ? Est-ce la situation qu’on aime ? Quand on écrit une lettre d’amour, pour qui le fait-on vraiment ? Question que l’on se pose aussi quand on tourne un film ! Enfin, comment raconter l’amour au cinéma, dans ce monde du tout-montrer et du tout-voir ? J’ai choisi d’en cacher le plus possible : la lettre, on ne la lira jamais et la porte de l’appartement se ferme devant nous.

Que va-t-il advenir de la lettre ?
Jonas a détruit sa lettre. Il a compris que la donner préfigurerait de nouvelles retrouvailles. Un point final au bas d’une lettre peut avoir des côtés points de suspension… Il faut savoir couper. Comme Mathieu en a fait une copie, il la gardera et il la relira de temps en temps, sans jamais dire à Jonas qu’il l’a conservée… Et ne me demandez pas ce qu’il y a dans cette lettre, je ne l’ai jamais écrite

Liste artistique
Grégory Montel
Grégory Gadebois
Anaïs Demoustier
Léa Drucker
Nadège Beausson-Diagne
Pablo Pauly

Sortie le 15 décembre 








Commentaires