Critique "Rouge". Un bon polar écologique bien servi par Zita Hanrot et Sami Bouajila


Synopsis
Nour vient d’être embauchée comme infirmière dans l’usine chimique où travaille son père, délégué syndical et pivot de l’entreprise depuis toujours.
Alors que l’usine est en plein contrôle sanitaire, une journaliste mène l’enquête sur la gestion des déchets. Les deux jeunes femmes vont peu à peu découvrir que cette usine, pilier de l’économie locale, cache bien des secrets. Entre mensonges sur les rejets polluants, dossiers médicaux trafiqués ou accidents dissimulés, Nour va devoir choisir : se taire ou trahir son père pour faire éclater la vérité.

Note 4/5. Mise en scène soignée et scénario intéressant qui semble prendre pour modèle le film Dark Waters de Todd Haynes. Le film s’inspire de différents faits réels dont le scandale (2016) de l’usine de Gardanne qui rejetait ses déchets toxiques dans la Méditerranée.
Mené comme un «polar écologique », le combat de Nour (belle composition de Zita Hanrot) est celui de David contre Goliath.
C’est bien filmé, prenant.
L’évolution en parallèle de la relation entre Nour et son père Slimane, Nour se détachant lentement d’un père bien trop présent, jusqu’à une certaine libération de la jeune femme, donne au film une dimension humaine intéressante.
On a apprécié le beau travelling arrière montrant un lac pollué niché (caché) dans la forêt. 

 Zita Hanrot et Sami Bouajila dans Rouge de Farid Bentoumi

Entretien avec le réalisateur Farid Bentoumi
D’où vient Rouge ? De souvenirs personnels ? D’articles de presse ?
Au départ, j’avais imaginé une histoire semblable chez des éboueurs, un milieu qui n’est jamais traité au cinéma. Mais le milieu professionnel de la gestion des déchets est aujourd’hui très surveillé et contrôlé, il n’y a plus d’affaires de pollution, donc plus d’actualité. En me documentant sur ces questions de déchets, je suis tombé sur
l’histoire de l’usine de Gardanne qui rejette ses déchets toxiques dans la Méditerranée, des boues rouges. Cela fait plusieurs années que le gouvernement et la préfecture leur demandent d’arrêter de polluer la mer. Mais cette usine, c’est aussi 500 emplois à la
clé, ce qui n’est pas rien dans un endroit comme Gardanne déjà marqué par le chômage.
Lorsque j’ai vu les photos de cette usine et ses boues rouges, j’ai trouvé ça très frappant en termes cinématographiques. J’ai transposé mon histoire dans ce type d’usine qui existe aussi ailleurs dans le monde. Je me suis ensuite beaucoup documenté sur d’autres
histoires d’usines polluantes, d’autres destins de lanceurs d’alerte. Rouge n’est pas un documentaire, c’est une fiction, librement inspirée de différents faits réels.
Sami Bouajila dans Rouge de Farid Bentoumi

Rouge a cette qualité du cinéma américain qui consiste à traiter une question politique ou sociétale des personnages, et de savoir incarner des idées par de la fiction.
Je suis comédien, donc je m’intéresse avant tout aux acteurs, aux personnages. Je pars d’idées mais très vite je travaille à les incarner. Je cherche comment vont réagir les personnages, quelles seront leurs interactions, les situations…
Je suis issu d’un milieu populaire et je n’ai pas eu de formation théorique en cinéma. J’ai vécu dans le milieu ouvrier, j’ai fait des grèves et des blocages d’usines avec mon père, délégué syndical et ma mère, syndicaliste dans l’enseignement. Je m’en suis servi pour Rouge. Ce film porte une dimension autobiographique. Les usines qui polluent, qui ferment, les ouvriers qui doivent déménager du jour au lendemain, le chômage, les 3/8, on a vécu tout ça. Mon père est parti à la retraite à cause d’un accident du travail, certains de ses amis sont morts de l’amiante… Je n’ai pas fait Rouge en enquêtant de loin sur la condition ouvrière, c’est du vécu.

Slimane, joué par Sami Bouajila, est un personnage intéressant parce qu’il est complexe : un homme sympathique qui commet des actions répréhensibles.
Il se bat mais sans maîtriser la finalité de son combat. Il croit se battre pour ses collègues, pour sa ville, alors qu’il subit ce que lui dicte l’usine. Dans mes films, il n’y a jamais de « méchants » ou de « gentils » tout d’un bloc, seulement des personnages qui ont chacun leurs raisons. C’est important de ne pas donner au spectateur des réponses toutes faites. Moi-même, je n’ai pas réponse à tout. Lutter contre la pollution, bien sûr, mais quand les ouvriers de Gardanne disent qu’il faut leur laisser du temps pour trouver des solutions, on doit les entendre. De même qu’il faut entendre le député du coin qui dit que ce serait une catastrophe sociale de fermer brutalement l’usine. Les syndicats commencent désormais à réfléchir la sauvegarde de l’emploi au regard des impératifs écologiques. J’aime bien partir du principe que les gens sont de bonne foi, y compris quand ils prennent des décisions qui peuvent sembler mauvaises.

Rouge de Farid Bentoumi

La relation père-fille entre Slimane et Nour est très belle, pleine de complexité et de contradictions. Comment l’avez-vous appréhendée ?
Il y a beaucoup de « coming of age movies », mais ce que je trouve plus fort encore, c’est quand les parents se rendent compte que leurs enfants sont des adultes, autonomes, qui pensent par eux-mêmes, qu’une confrontation entre adultes est possible. Nour est partie travailler comme infirmière dans une autre ville, elle a involontairement causé la mort d’une patiente, elle revient dans sa famille marquée par ça. Elle est vraiment devenue adulte, mais son père la voit toujours comme sa petite fille. Il ne se rend pas
compte qu’elle a son propre point de vue, et souvent au cours du film, il lui dit « Tu ne comprends pas ». Mais elle comprend très bien. Elle respecte beaucoup son père pour son travail, son rôle de syndicaliste, mais elle se rend compte qu’il a aussi un aspect
plus sombre. C’est très dur pour elle de voir que son père est lâche, même s’il est lâche malgré lui et ne veut pas se l’avouer. Il finira par basculer du côté de sa fille et par agir.
Cet aspect est important, parce que je pense que les jeunes sont là pour pousser la génération d’au-dessus à agir, car ce sont les cinquantenaires qui détiennent le pouvoir et c’est à eux qu’il revient de faire les changements. Dès maintenant.

Slimane et Nour sont d’origine maghrébine mais cet aspect n’est pas du tout problématisé dans le film.
Pour moi, c’est important qu’ils s’appellent Slimane et Nour, mais c’est tout aussi important qu’aucun signe extérieur ne les signale comme maghrébins ou musulmans.
Dans les usines et chez les infirmières, il y a beaucoup de Maghrébins, donc mes personnages sont tout à fait crédibles sur ce plan-là, mais ils ne portent pas de marqueurs de leur origine. Dans une séquence de mariage, on voit une grand-mère en habit traditionnel : on sait que c’est une famille maghrébine mais sans aucune ostentation. C’est important parce que je suis moi-même d’origine maghrébine mais je suis né en France, j’ai toujours vécu là, je parle peu arabe… J’ai grandi en Savoie et quand on me demande mon origine, je réponds toujours très naturellement que je suis
savoyard. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir des racines arabes, de la famille en Algérie.
Mes personnages sont infirmière ou délégué syndical avant d’être maghrébins. Ce qui est malheureux, c’est qu’en 2020, il faille encore montrer que les Maghrébins ne sont pas là pour bouffer le pain des Français.

Slimane travaille pour nourrir sa famille, Nour travaille par vocation. Rouge est-il aussi un film sur le travail, sur le sens ou la perte de sens qu’il revêt ?
Le travail reste le centre de notre vie, même si on a une famille, des congés, des loisirs. Comment on utilise nos compétences, comment on rend quelque chose à la société est très important. J’ai fait une école de commerce puis travaillé deux ans dans la publicité,
mais je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de vendre des shampoings toute ma vie. Je suis donc devenu comédien, puis auteur-réalisateur, j’ai choisi un métier où je pouvais m’exprimer. Ça a parfois été dur financièrement mais je suis très heureux
de mes choix et je ne reviendrais en arrière pour rien au monde.
Dans Rouge, les personnages les plus jeunes ont choisi leur métier pour jouer un rôle positif dans la société, c’est clair. Slimane, lui, n’a pas eu le choix. Mon père non plus.
Il est toujours resté ouvrier parce qu’il n’avait pas fait d’études, et il nous répétait que le plus important était de faire des études pour ensuite avoir le choix. Choisir son métier, sa vie, avoir un travail qui a du sens, c’est très important.

Interprètes
Zita Hanrot
Sami Bouajila
Céline Sallette

Sortie le 11 août 

Commentaires

  1. Saisissant par son humanisme...
    De superbes acteurs...grands dans leur âme et dans leur coeur

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire