Critique "La métaphysique du berger". Documentaire. Les illusions perdues d’un berger du Vercors


Synopsis
Des hauts-plateaux du Vercors aux limbes des vallées de la Drôme, Boris tente d’atteindre son idéal : mener une vie de berger, loin de la société contemporaine et de sa technologie dévorante. Tout bascule à la naissance de son fils avec le difficile apprentissage de la paternité.

Note 3/5. Avec ses yeux malicieux et son grand béret, Boris est tout de suite sympathique. Sa voix (en off) dit calmement ses désirs de vie simple, d’authenticité et de refus du consumérisme. Avec sa compagne et leur bébé, ils vivent dans une yourte relativement confortable. Mais la vie n’est pas si simple ; les difficultés mettent Boris face au principe de réalité et aux nécessaires compromis qui mettent à mal ses idéaux.
Le réalisateur Michaël Bernadat accompagne Boris dans son quotidien. Beaucoup d’images sont magnifiques (troupeau de moutons dans la lumière de l’été...). Il y a aussi une image forte (l’abattage et le dépeçage d’un mouton), une autre étonnante (le bébé dans une brouette !). 
La présence furtive de la compagne de Boris nous rappelle qu’elle a sans doute joué un rôle qui nous reste inconnu...
   

Entretien avec le réalisateur Michaël Bernadat
Quelles sont les origines du projet ?
Ce projet est né d’une envie de réaliser un court-métrage documentaire sur quelqu’un qui quitterait la société comme si c’était la fin du monde. Ma rencontre avec Boris est venue modifier ce projet initial puisqu’il m’a directement fait comprendre qu’il ne pouvait pas vivre sans le reste du monde. À la base, je cherchais à filmer une aventure avec de beaux décors. Quand je fais du cinéma, j’aime filmer de belles choses, et surtout de belles personnes. En rencontrant Boris, j’ai réalisé qu’il véhiculait un peu ce que je cherchais à trouver : une vie différente et surtout une manière différente de voir les choses. Je suis donc allé le voir une première fois dans les montagnes, sans le filmer, et là j’ai été soufflé. Suite à cette première visite, filmer Boris est apparu comme une évidence, en résonance avec mes propres questionnements sur la société et mon mode de vie. 

Comment avez-vous rencontré Boris ?
Boris est le frère de mon ex-compagne, la maman de mes enfants. La première fois que je l’ai rencontré ce fût dans une fête de famille. Quand j’ai commencé à construire le projet, j’ai directement pensé à lui pour le film.

Etes-vous animé par les mêmes questions existentielles que Boris dans votre vie ?
Ayant grandi au fin fond de la Nièvre, avec une mère sans emploi et un père ouvrier, on m’a toujours poussé à ne pas rester et à ne pas devenir à mon tour ouvrier. C’est d’ailleurs mon père qui m’a initié à l’art et plus précisément au cinéma. Très vite, j’ai su que je voulais faire quelque chose d’artistique, j’ai donc commencé adolescent par la musique. Depuis toujours je me pose aussi des questions existentielles, on va dire que j’essaie de trouver un sens à ma vie. Je ne voulais pas me résoudre à adopter un rôle ni une place qu’on prévoit pour nous quand on naît. Et je me suis alors demandé ce qu’il se passait pour les personnes qui n’étaient pas « bien nées ».


Quel(s) est/sont le(s) message(s) que vous avez voulu faire passer à travers ce film documentaire ? 
À travers ce film j’ai essayé de faire passer le message qu’il faut voir plus loin que ce que la vie nous fournit. J’ai l’espoir qu’un jour les machines puissent aider les humains à s’épanouir et que l’argent soit mieux redistribué. S’accomplir, ce serait vivre heureux avec des moyens convenables sans avoir à aller faire un travail qui ne nous plaît pas. D’une manière douce, ce film cherche à emmener les gens à réfléchir au fait que l’on est sur terre pour s’accomplir. J’ai envie qu’on garde de la technologie ce qu’elle a de beau et qui peut servir à l’épanouissement des personnes. Il y a également la question de la prise de conscience de la valeur des choses. Par exemple, la scène de la mise à mort de la brebis dans le film montre crûment ce qu’est une mort. Comme le dit Boris, quand il tue un animal et qu’il le mange, il a vraiment la valeur de ce qu’est une mort.


Interview de Boris 
Quand avez-vous commencé à vous poser ces questions existentielles ?
J’ai commencé à me poser ces questions vers l’âge de six, sept ans. Ça m’est venu très jeune dans mon enfance. Quel a été l’élément déclencheur qui vous a incité à devenir berger ? Boris : Je voulais venir en montagne avec mes chevaux. Je me suis toujours senti bien et épanoui sur les alpages, ça m’est resté de mes vacances quand j’étais petit. A l’époque j’avais un voisin qui avait des brebis, que j’aidais régulièrement et voilà c’est venu comme ça… 

Qu’avez-vous fait après le tournage et que faites-vous actuellement ? 
Comme cela est raconté dans le film, après le tournage on a abandonné la montagne. On a quand même décidé de remonter l’année d’après en famille sur une autre montagne plus accessible mais très rapidement on a décidé d’arrêter pour de bon et depuis ce moment là j’ai arrêté de faire le berger. Après, je me suis mis à faire des sculptures en métal, ce que je fais toujours et j’expose même de temps en temps. J’ai aussi repris la danse et je me suis mis à transmettre les danses européennes folkloriques en Islande et au Pays de Galles. Je devais continuer mais le COVID m’a fait revoir mes plans et actuellement j’élève mes chevaux et je suis tondeur de moutons l’hiver. 

Pourquoi avoir arrêté de faire le berger ?
Mon fils ne faisait pas ses nuits et cela devenait très compliqué pour moi et ma femme de tenir le rythme.

Pouvez-vous nous parler de la résonance du film avec l’actualité ?
Je pense que tout ce que j’ai dit sera plus entendable et surtout mieux compris aujourd’hui. Je constate qu’il y a de plus en plus de gens qui partent des villes pour s’installer à la campagne. Je pense qu’ils cherchent à vivre plus proche de la nature par rapport à avant. Beaucoup de choses ont changé, aujourd’hui par exemple, plus personne ne remet en question le fait que la terre est de plus en plus polluée. Le Covid a sûrement accéléré ce phénomène, les gens ressentent le besoin profond de se rapprocher de la nature. 

Avez-vous eu l’impression dans ce projet de participer aux changements et d’élever les consciences ?
Oui si ça pouvait aider ça serait bien. A l’époque je n’ai pas tourné les choses dans ce sens là, je pense que sinon j’aurais dit plus de chose à ce sujet… Mais l’idée de pouvoir aider des gens à retrouver un peu la terre me plaît.

Sortie le 28 juillet 

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