Cinéma "La Loi de Téhéran". Un grand polar iranien


Grand Prix et Prix de la Critique au Festival du film policier 2021

Synopsis
En Iran, la sanction pour possession de drogue est la même que l’on ait 30 g ou 50 kg sur soi : la peine de mort. Dans ces conditions, les narcotrafiquants n’ont aucun scrupule à jouer gros et la vente de crack a explosé. Bilan : 6,5 millions de personnes ont plongé. Au terme d'une traque de plusieurs années, Samad, flic obstiné aux méthodes expéditives, met enfin la main sur le parrain de la drogue Nasser K. Alors qu’il pensait l'affaire classée, la confrontation avec le cerveau du réseau va prendre une toute autre tournure... 

Note de MCL : 4/5 
"Dans ce thriller sur fond de toxicomanie, les frontières entre fiction et réalité semblent s'évaporer en fumée. "La loi de Téhéran" transpire une véracité dérangeante et frôle celle du documentaire avec une violence assumée, non aseptisée et une écriture anti-manichéenne.
Ce bras de fer entre le lieutenant Samad et le dealer Nasser est parfaitement interprété par Payman Maadi et Navid Mohammadzadeh. L'histoire nous tient en haleine dès le début grâce à une mise en scène qui nous fait passer de l'oppression au vertige, des hommes au bétail, du sadisme à des moments déchirants, en passant par de la manipulation pure et brillante.
Les émotions sont un langage universel, Saeed Roustaee les maîtrise parfaitement et il nous les sert crues sur des charbons ardents et on adore"


La 38e édition du Festival du film policier a duré 4 jours de compétition, avec 21 films en lice (dont 6 hors compétition). Le jury, présidé par le comédien Jacques Weber, a décerné son Grand Prix à La Loi de Téhéran de Saeed Roustaee. Ce film se voit doublement récompensé puisque le jury de la presse l'a également distingué.



Entretien avec le scénariste et réalisateur SAEED ROUSTAEE
Le phénomène de l'addiction au crack en Iran est très peu connu du public occidental. Votre approche a une base très documentée sur le sujet. Quelles recherches avez-vous faites ?
Ces dernières années, la toxicomanie a changé de visage en Iran. Elle est sortie de la clandestinité pour se révéler au grand jour. De plus en plus de toxicomanes sont visibles dans la rue. Leur dépendance à une nouvelle substance, le crack, les a mis à la rue de façon beaucoup plus massive et plus rapide que ne le faisaient les autres drogues. A force de voir ces personnes, j'ai eu l'idée de tourner un documentaire sur elles et j'ai entrepris des recherches. Finalement, ce documentaire-là ne s'est jamais tourné, mais cela a influencé mes films de fiction.

Au delà de la question du crack, l'Iran a un long passif avec la consommation de drogues. Pourriez-vous le résumer ?
Il est un fait que nous avons plusieurs centaines de kilomètres de frontière commune avec le plus grand producteur de drogue du monde (l'Afghanistan). Cette production a augmenté de façon
exponentielle lors des trois dernières décennies. Malgré toutes les mesures mises en place visant à empêcher l'entrée des stupéfiants sur notre sol, les trafiquants ont toujours une longueur d'avance : ils vont jusqu'à utiliser des catapultes ou creuser des tunnels pour faire passer leur marchandise.


Il semble qu'en moins de dix ans, le crack se soit substitué à l'opium en Iran. Comment l'expliquez-vous ? Comment votre interêt pour ce sujet à évolué au gré des années, jusqu'à en faire un film ?
Ce qui est au cœur de ce film est une préoccupation d'ordre social. Il n'est pas exact de dire que le crack s'est substitué à l'opium. L'opium est une substance addictive traditionnelle qui continue d'avoir de nombreux consommateurs. Le crack a certes attiré certains opiomanes, mais la plupart  de ses victimes ne consommaient pas de drogue auparavant.
Pour moi, tout a commencé dans la rue. Or, les opiomanes ne se retrouvaient pas à la rue, ou très rarement. Ce qui m'a frappé avec le crack, c'est que le nombre de toxicomanes sans-abris augmentait de jour en jour. La séquence finale de mon film montre les toxicomanes qui surgissent d'entre les arbres pour affluer vers l'autoroute. Cette vision a été pour moi le déclencheur de l'inspiration du film tout entier.
Vous êtes-vous inspiré de cas véridiques pour votre scénario ou certaines séquences ?
Oui, mais je dois dire que ce qui est prioritaire pour moi, c'est l'histoire. Je ne peux incorporer des éléments que s'ils enrichissent l'intrigue. Si j'ai recours à de vrais toxicomanes ou à des faits réels,
c'est simplement pour rendre mon histoire plus réaliste, toucher de plus près le réel.
Comme évoqué plus haut, JUST 6.5 possède un aspect quasi-documentaire sur certains points.


Le titre international de votre film (JUST 6.5) peut être compris comme un écho aux 6.5 millions d'iraniens consommateurs de crack mentionnés au générique de fin. Mais dans sa version originale, il fait clairement référence à une réplique (les 6.5 tomans qu'il faut payer pour un linceul) où le personnage de Nasser parle de la pauvreté qui l'a amené à devenir un dealer important. Est-ce que cela reflète votre opinion sur les racines de cette crise sanitaire ?
Le lien entre les deux allusions, celle au nombre de toxicomanes dans le pays et celle au prix du mètre de linceul, est clair. Pour moi, la toxicomanie et la pauvreté sont étroitement liées.
L'écrasante majorité des individus qui ont recours à la drogue le font car ils y trouvent un refuge leur permettant d'oublier la situation inextricable dans laquelle ils vivent ou d'apaiser l'angoisse
qu'elle suscite en eux.

JUST 6.5 navigue entre Samad, le policier, et Nasser, le dealer. Pouvez-vous revenir sur cette circulation narrative, comment vous l'avez organisée? Vous sentez-vous plus proche de l'un ou de l'autre ?
Pour moi, ces deux personnages sont les deux faces d'une même médaille. Ce qui me semble primordial, c'est qu'ils sont tous deux issus d'une même classe sociale. J'avais tourné une séquence
-supprimée au montage- qui nous faisait comprendre que Samad habite dans le quartier où se trouvait la maison natale de Nasser. J'ai tenu à ce que mes deux personnages soient crédibles, qu'on leur donne raison ou tort. Chacun d'eux croit en lui-même et estime qu'il a raison d'agir comme il le fait, même s'il sait qu'il n'a parfois pas eu le choix.
 
Certaines de ces scènes de foule sont très impressionnantes, notamment celle de l'assaut policier sur le campement de toxicomanes. Vous avez fait le choix de filmer d'authentiques
crack-addicts pour cette séquence. Est-ce une décision facile
?
Pour ce film, nous avions besoin de représenter une foule de toxicomanes. Il se trouve que je suis très sensible au jeu d'acteur. Chaque geste, chaque regard, chaque mot dit par un acteur est pour
moi fondamental. Il n'était pas concevable pour moi d'avoir des acteurs professionnels qui paraissent très naturels au milieu de figurants jouant maladroitement à être drogués. J'ai donc
décidé d'avoir recours à de vrais toxicomanes acceptant de figurer dans le film.



JUST 6.5 oscille cependant entre le polar et le film de procès, le cinéma de genre et celui comportementaliste. Le succès des films d'Asghar Farhadi (Une séparation) sortis en France ont habitué le public au second registre, là ou le premier est inattendu dans un film iranien. Quelle est votre relation au cinéma de genre ?
En tant qu'artiste, je ne fais pas le choix de faire un film de genre ou d'en adopter les codes. Peut-être aurai-je le désir de tenter cela un jour, mais je ne l'ai encore jamais fait. Je crée mon scénario
et mon film sans me poser ces questions. C'est a posteriori que ce type de classification se fait. Ce qui est certain, c'est que cette dimension dramatique ou de suspens, ou proche de tel ou tel genre,
provient de la force de l'histoire découlant directement de la réalité.

Une des idées qui traversent JUST 6.5 est que tout citoyen craint que le système judiciaire ne s'abatte sur lui. Quelle est votre définition de la justice ?
Dans le film, les toxicomanes ou les trafiquants de drogue ne craignent pas que le système judiciaire commette une erreur à leur encontre. Ils savent qu'ils vont être condamnés à une lourde
peine, quelle que soit la quantité de drogue en jeu. Ces peines sont très lourdes en Iran, surtout lorsqu'il s'agit de drogues produites de façon industrielle, telles que le crystal meth, le crack ou
l'héroïne. Elles s'élèvent à 1 an de prison pour 1 gramme, 3 ans pour 2 grammes, 5 ans pour 3 grammes. Ces personnages font donc tout pour éviter d'être jugés, car ils savent que leur peine sera forcément lourde.


JUST 6.5 est devenu un des plus gros succès populaires en Iran. Comment expliquez-vous l'intérêt de ce public pour votre film ?
Je considère que certains des films qui sont tournés avec une prétention sociale ne contiennent aucune vérité sur la société. Notamment, des films qui traitent de la pauvreté, des classes
défavorisées, des toxicomanes ou des sans-abris ont tendance à le faire avec une vision de touriste, sans véritable connaissance de ces populations.
Pour ma part, je connais vraiment les groupes que je donne à voir, j'ai fait des recherches et réalisé des documentaires sur eux. Il me semble que lorsqu'un spectateur perçoit une proximité avec la
réalité dans un film, il incite les autres à aller le voir. La meilleure publicité pour un film en Iran est le bouche-à-oreille. Ce n'est pas tant la télévision qui incite les gens à aller voir un film que l'avis de
leur entourage. Le succès de mon film vient donc de sa véracité, et du processus d'identification qu'il suscite auprès du public

Liste artistique
PAYMAN MAADI
NAVID MOHAMMADZADEH
HOUMAAN KIAIE
PARINAZ IZADYAR
FARHAD ASLANI

Sortie le 28 juillet 

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