Critique "Teddy". Comédie fantastique réussie pour les frères Boukherma


Le film fait partie de la Sélection Officielle Cannes 2020

Synopsis
Dans les Pyrénées, un loup attise la colère des villageois. Teddy, 19 ans, sans diplôme, vit avec son oncle adoptif et travaille dans un salon de massage. Sa petite amie Rebecca passe bientôt son bac, promise à un avenir radieux. Pour eux, c’est un été ordinaire qui s’annonce. Mais un soir de pleine lune, Teddy est griffé par une bête inconnue. Les semaines qui suivent, il est pris de curieuses pulsions animales...


Note 3,5/5. Premier film des frères Ludovic et Zoran Boukherma. Film original. Mise en scène sobre. Rythme soutenu. La réalisation maintient un équilibre entre le côté fantastique, gore, et les aspects social (le milieu dans lequel vit Teddy) et sociétal (le problème de la réapparition du loup) du film. Le jeu d’Anthony Bajon, d’un grand naturel, est excellent.
Noémie Lvovsky dans Teddy

Entretien avec les réalisateurs LUDOVIC ET ZORAN BOUKHERMA
Parlez-nous un peu de ce premier film

Zoran B. : C’est un film que nous avons fait à quatre. Après une année en fac d’anglais, j’ai fait l’Ecole de la Cité, créée par Luc Besson, dans la première promotion, où j’ai rencontré Hugo Thomas et Marielle Gauthier qui sont co-réalisateurs avec nous de Willy 1er. On s’est dit : « on va écrire un long-métrage en une semaine », sans imaginer que ce serait vraiment réalisé un jour. Puis, quand on a trouvé un producteur, PierreLouis Garnon, on a décidé que ce qu’on avait commencé à quatre on allait le terminer tous ensemble. Mais en fait, quand on travaille tous les deux on n’a pas l’impression de travailler avec quelqu’un d’autre. Dès qu’on a une idée, on sait qu’elle sera validée parce que l’autre aura eu, lui aussi, la même idée. C’est assez simple.


Vous êtes toujours d’accord ?
Ludovic B. : Presque toujours. Et les rares fois où nous ne sommes pas d’accord, c’est plutôt constructif parce que ça nous permet de faire évoluer les idées. C’est un avantage considérable parce que c’est presque comme avoir un dialogue avec soimême. Parfois, on n’est même pas obligés de finir une phrase, on sait ce que l’autre va répondre. Inutile par exemple d’exposer longuement des idées, on sait tout de suite où l’autre veut en venir.
Zoran B. : Ce qui est pratique, dans l’écriture, c’est aussi d’avoir les mêmes références. Quand je pense à un décor, je sais que lui, il a exactement le même décor en tête. Parfois, ça va jusqu’à l’absurde. On voit la même porte au même endroit. C’est vraiment ça : c’est comme écrire avec soi-même mais un soi-même qui aurait, en plus, des idées extérieures.


Le Lot-et-Garonne où vous avez grandi, est l’origine de cette France rurale qui joue un rôle important dans vos films et pour laquelle vous semblez avoir une certaine tendresse ?
Zoran B. : Enfants, on a détesté vivre là-bas. Et puis, sans avoir vraiment mis le doigt dessus, je crois qu’on éprouvait une forme de honte de classe, venant d’un milieu plutôt populaire. Très vite, il nous fallait donc venir à Paris pour être le plus loin possible de tout ça. Et maintenant que nous sommes adultes, nous le voyons différemment, avec une sorte de tendresse pour cet endroit-là. On a envie de filmer et de montrer les gens, au milieu desquels on a grandi, et que l’on ne montre pas beaucoup au cinéma. On fait pas mal de casting sauvage parmi des gens qui ne sont pas comédiens, qui vivent là-bas, pour les montrer tels qu’ils sont, ou comme nous les percevions quand on était gosses.
Ludovic B. : On voulait fuir tout ça en allant à Paris et, maintenant, on se rend compte que tous les films qu’on écrit se passent en province. Le premier se passait en Normandie mais, pour le reste, tout se passe toujours dans le Sud-Ouest avec des personnages du coin. C’est assez marrant de revenir vers ce qu’on a toujours voulu fuir et de constater que notre imaginaire est profondément habité par ça. C’est banal à dire, mais on n’échappe pas à ses racines et on y revient toujours. 
Anthony Bajon  et Christine Gautier dans Teddy


Vous n’avez pas tourné Teddy dans le Lot-et-Garonne finalement…
Ludovic B. : Dans le film, il y a une histoire d’attaque de moutons par des loups. De manière purement pragmatique, il fallait que la montagne soit à l’écran. Cela dit, on n’a pas cherché à identifier une région particulière. Par ailleurs, ça n’a pas grand chose à voir, mais je lisais les Raisins de la colère à ce moment-là et il m’a semblé que cette région d’Occitanie devait ressembler un peu à la Californie de Steinbeck, avec des montages, des vignes.

A propos des loups, en France, le sujet donne lieu à des oppositions très dures. C’est un élément qui comptait pour vous ?
Zoran B. : On voulait inscrire le film dans un contexte très réaliste. En France, on sait que la question du loup fait débat dans les montagnes entre les éleveurs et ceux qui veulent protéger l’environnement. Pour certains, c’est la bête à abattre, pour les autres, c’est l’animal à réintroduire. Cela correspond aussi à un parallèle entre Teddy et le loup. Le loup est détesté par les villageois, Teddy est détesté par les villageois, et Teddy devient un loup qui s’en prend aux villageois. On voulait que le film reste un conte pour enfants, avec la figure du loup, mais qui s’inscrive aussi dans le réel.

Pour les comédiens professionnels, le choix d’Anthony Bajon pour le rôle principal était une évidence ?
Zoran B. : Un an avant de rencontrer Anthony, nous n’avions pas d’acteur précis en tête. On savait qu’il fallait un acteur professionnel parce que c’était un rôle plutôt compliqué. Quand on a vu La Prière il est devenu évident que ce serait lui. Ludovic B. : Anthony est un acteur qui n’a pas l’air d’être un acteur, et c’était crucial pour nous. Il dégage dans le film une vérité sur le personnage assez évidente. Zoran B. : C’est un acteur un peu brut. Depuis La Prière il a joué dans pas mal de choses mais il est encore au début de sa carrière. Et puis nous venons d’un milieu similaire. On se comprend.

On retrouve une nouvelle fois Noémie Lvovsky à vos côtés, comme dans Willy 1er. Elle occupe une place spéciale dans votre cinéma ?
Ludovic B. : On avait travaillé avec elle pour notre premier film et ça s’était très bien passé. C’est une comédienne formidable et, même si c’est un second rôle dans Teddy, on a tout de suite pensé à elle. Ce qui nous intéressait aussi, c’était de la solliciter dans un registre complètement différent que dans Willy 1er. Elle y interprétait une assistance sociale, dans un rôle beaucoup plus dramatique et naturaliste. Pour Teddy, on savait qu’elle avait en elle un truc très drôle, très fantasque, qui nous fait beaucoup rire sur les tournages, et qu’on voulait mettre en avant.
Zoran B. : On a toujours une place pour Noémie, une petite ou une grande. Et puis le fait qu’elle soit réalisatrice, ça nous apprend beaucoup. On lui expose nos doutes et elle nous aide, nous rassure.

Interprètes
Anthony Bajon
Christine Gautier
Ludovic Torrent
Noémie Lvovsky

Sortie le 30 juin

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