Portrait émouvant du neurologue Olivier Sachs




Oliver Sacks
Biographie d’un médecin et conteur
Prix du public, Palm Springs 2020

Samedi 27 mars à 22.40 sur ARTE
Disponible sur arte.tv du 24/03/2021 au 24/06/2021


Quelques mois avant sa mort, en 2015, l'écrivain neurologue Oliver Sacks revenait sur son parcours devant la caméra de Ric Burns. Un portrait émouvant, en toute intimité, auquel participent aussi nombre de ses proches.



En décrivant, dans des essais empathiques et accessibles, les cas cliniques rencontrés au cours de sa carrière, Oliver Sacks a contribué à faire connaître les troubles neurologiques auprès du grand public, notamment à partir de 1985, avec son best-seller international L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau. Né à Londres en 1933, installé à New York dans les années 1960, il a redonné leur statut de personne à des patients reclus dans l’isolement, atteints d’autisme, du syndrome de Gilles de la Tourette ou encore de la maladie de Parkinson. Franc-tireur résolu, il a longtemps tâtonné entre ses désirs de recherche pure et son talent de praticien, pour finir par se forger une place à part, mais reconnue, dans le champ clinique, puis des neurosciences. Il a notamment contribué à réhabiliter l’étude de cas, délaissée dans les années 1970 au profit de recherches quantitatives et statistiques.



Testament joyeux
Ric Burns a filmé Oliver Sacks dans les derniers mois de sa vie alors que, atteint d’un cancer, il se savait condamné. Nourri de ses archives personnelles, des témoignages de ses amis et patients, mais surtout de son propre talent de conteur, ce portrait en forme de testament joyeux raconte, entre autres, le long combat qu’il a livré pour se libérer de ses angoisses et de ses addictions. On le voit dans les années 1960, fraîchement arrivé à San Francisco après avoir fui un Londres homophobe dans lequel il étouffait. Assoiffé de liberté, mais enclin à l’autodestruction, le jeune médecin se déprendra des amphétamines grâce à une psychanalyse qui durera près de cinquante ans. Ses failles intérieures, estimait-il, lui ont permis de mieux comprendre celles de ses patients, et de nouer avec eux des relations pleines de richesse. Cette immersion sensible dans la vie et l'œuvre d’un insatiable chercheur se referme sur un poignant adieu.

Documentaire de Ric Burns (États-Unis, 2020, 52mn) 




Portrait de Oliver Sacks


Chercheur autant qu’écrivain, l'auteur de L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau a puisé dans ses propres abîmes un don hors norme d’empathie pour ses patients. Peu avant sa mort, en 2015, Oliver Sacks livrait au documentariste Ric Burns un témoignage testamentaire. Extraits.



ORDRE ET DÉSORDRE
"J’ai grandi dans une famille juive orthodoxe typique de la classe moyenne londonienne. Dès ma plus tendre enfance, il était entendu que je deviendrais docteur. À 15 ans, mon frère Michael a été diagnostiqué schizophrène. Je me suis mis à avoir peur de lui, peur pour lui, peur du cauchemar qui devenait sa réalité. Qu’allait-il devenir et quelque chose de semblable allait-il m’arriver ? C’est à cette époque que j’ai installé mon laboratoire dans la maison et que j’ai fermé les portes, fermé mes oreilles face à la folie de Michael. Je ressentais une ardente compassion à son égard mais je devais aussi conserver une distance, créer mon propre monde de science pour ne pas être aspiré par le chaos et la séduction qui constituaient le sien. Mon amour pour la chimie et la classification périodique des éléments a été une constante depuis ma toute petite enfance. J’ai un tableau périodique des éléments sur mon dessus de lit, sur des cabas, sur beaucoup de t-shirts et même sur des chaussettes ! Il symbolise l’ordre, la stabilité, mais aussi l’imagination et le mystère."

PARADIS ARTIFICIELS
"Ce n’était ni facile ni sûr d’être homosexuel dans la Londres des années 1950. [...] J’en voulais à ma mère, à la religion, à l’Angleterre, j’en voulais à cette foutue société homophobe, même si je partageais en partie cette haine, en la dirigeant avant tout contre moi-même. [Oliver Sacks part alors étudier en Californie, et y trouve une liberté nouvelle, mais devient aussi toxicomane en même temps que neurologue, NDLR.] Face à l’appel des amphétamines, je n’arrivais pas à dormir, j’oubliais de manger. Je pensais peu à l’effet que ça avait sur mon corps et mon cerveau, je savais et j’ignorais en même temps que je jouais avec la mort. Au jour de l’An de 1965, j’ai regardé mon visage creusé et je me suis dit : Oliver, tu ne verras pas le prochain réveillon si tu ne demandes pas d’aide. Alors, au début de l’année 1966, j’ai cherché un psychanalyste. Il a martelé que je devais renoncer à la drogue. En février 1967, j’ai fait un dernier trip mais au lieu de m’abandonner à l’hébétude, j’ai commencé à lire. [...] Avec les amphétamines, il m'a semblé que le paradis neurologique s’ouvrait à moi."

BEST-SELLER
"J’ai passé l’essentiel de ma vie à tenter d’imaginer ce que ça faisait d’être un autre être sensible, une chauve-souris, une pieuvre ou bien un autre être humain. Il faut donner de soi aux patients, pas seulement leur apporter une poignée de médicaments. [...] En 1983, un collègue m’a proposé de coanimer un séminaire consacré à l’agnosie, c'est-à-dire l’incapacité à reconnaître quoi que ce soit, y compris les visages. J’ai pensé à l’un de mes patients, un professeur de musique devenu incapable de reconnaître quiconque. Il pouvait tapoter la tête de bouches d’incendie ou d’horodateurs en croyant qu’il s’agissait d’enfants et a même pris la tête de sa femme pour un chapeau. J’ai rédigé son histoire mais il ne m’a pas effleuré l’esprit que cela pourrait devenir le titre d’un recueil de contes cliniques. J’ai été surpris par l’afflux de lettres que j’ai reçues [après la publication du livre, NDLR]. La réalité des situations et des difficultés que j’évoquais avait touché le cœur et les esprits de nombreux lecteurs."

GRATITUDE
"Désormais, me voici en tête à tête avec la mort. Je ne peux pas dire que je n’ai pas peur, mais le sentiment qui l’emporte est la gratitude. J’ai aimé et j’ai été aimé, j’ai beaucoup reçu et donné en retour, j’ai lu, voyagé, pensé et écrit. J’ai entretenu une relation avec le monde, la relation qui unit écrivain et lecteur, et surtout, j’ai été un être sensible, un animal pensant sur cette belle planète. Cela en soi est un immense privilège et une grande aventure."



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