# Critique "The Last Hillbilly". Documentaire. Portrait sensible, poétique et mélancolique d’une famille pauvre du Kentucky


Sélection ACID Cannes 2020
Synopsis
Dans les monts des Appalaches, Kentucky de l’Est, les gens se sentent moins Américains qu’Appalachiens. Ces habitants de l’Amérique blanche rurale ont vécu le déclin économique de leur région. Aux États-Unis, on les appelle les «hillbillies» : bouseux, péquenauds des collines. The Last Hillbilly est le portrait d’une famille à travers les mots de l’un d’entre eux, témoin surprenant d’un monde en train de disparaître et dont il se fait le poète.

Note 3/5. Les réalisateurs Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe sortent de l’ombre une famille de paysans pauvres du Kentucky. Les paroles en voix off de Brian Ritchie (personnage inattendu dont la voix profonde et le récit fascinent), les tombes, les ruines, évoquent avec mélancolie un monde disparu, celui de l’âge d’or de l’exploitation minière. Le champ de la caméra souvent réduit (alors que l’on devine les grands espaces des Appalaches) fait écho à une vie réduite à peu de choses.
En prologue, les images de la mort d’un cerf sont remarquables.

Entretien avec les réalisateurs Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe
Vous êtes tous deux basés en France. Comment en êtes vous arrivés à ce film tourné sur plusieurs années dans le Kentucky, aux Etats-Unis ?
Tout est parti de notre rencontre avec Brian Ritchie, le personnage principal du film. C’était en 2013, lors de notre premier séjour dans le Kentucky. Au départ, comme la plupart des gens, nous ne faisions que passer… Un soir, nous faisons un pause dans un diner en bord de route. Il est clair que notre présence détonne par rapport au reste des habitués, et c’est là que Brian vient à notre rencontre et nous adresse pour la première fois la parole, de son air amusé et désinvolte, un peu provocateur : « bon alors, qu’est-ce que vous foutez là, en fait ? ». Nous étions encore loin d’imaginer que c’était le point de départ d’une aventure de près de sept ans. C’était une de ces rencontres qui semblent le fruit du hasard, mais rétrospectivement on se rend compte qu’il n’en est rien. Pour plusieurs raisons, la connexion entre nous a été immédiate, et très vite Brian nous a proposés de nous faire découvrir « le vrai Kentucky ». Il nous a alors ouvert la porte d’un monde singulier, le sien, celui de sa famille et de ses amis, auprès de qui ils nous a progressivement introduits et avec qui une grande intimité a pu s’instaurer.

Il faut dire que l’est du Kentucky est un territoire à part…
Absolument ! C’est une zone rurale reculée, dont l’organisation sociale se tisse autour de clans familiaux. Elle a toujours entretenu un rapport très particulier vis-à-vis du reste des États-Unis, cultivant un esprit d’indépendance et une volonté d’autosuffisance forte, qui va de pair avec une défiance marquée envers l’extérieur. Ce que le reste des États-Unis leur rend bien, puisque les autres Etats américains appellent ceux qui y vivent « hillbillies ». Un mot très péjoratif signifiant « ploucs » ou « bouseux », littéralement « péquenaud des collines ».
The Last Hillbilly de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe 

Pourquoi avoir utilisé ce mot dans le titre du film ?
Parce que nous avons été frappés par la manière dont Brian s’empare de cette insulte pour la reprendre à son compte, et mener une réflexion sur l’histoire et la culture de cette région. Bien sûr il y a la volonté d’assumer quelque chose face à l’insulte elle-même, mais son geste va au-delà de la provocation : Brian part de ce mot pour dessiner son identité et interroger les stéréotypes qu’il véhicule.

C’est assez caractéristique de Brian, qui est un personnage étonnant. Cela s’est-il manifesté dès le début de votre relation ?
Oui, il s’est très vite imposé à nos yeux comme un formidable personnage de cinéma. D’abord grâce à sa densité psychologique, à la précision de sa pensée, à ce point de vue si unique sur l’univers qui l’entoure. Et puis il a cette voix, cette inventivité verbale, ce tempo, qui nous ont beaucoup inspirés. Il est aussi capable de déverser une colère désabusée et lucide, dans un langage étonnamment calme et précis. Brian déconstruit vos préjugés juste par sa façon d’être et de parler… parfois alors même qu’il fait mine de les confirmer ! C’est paradoxal, nuancé... captivant. Créer un œuvre cinématographique autour de lui et avec lui a été particulièrement passionnant. Nous voulions inviter le spectateur à partager cette expérience, à habiter le monde intérieur de Brian, et à traverser, dans ses pas, son univers, le temps d’un film. 
The Last Hillbilly de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe 

Comment avez-vous abordé la création sonore ?
L’esprit de Brian bruisse d’une catastrophe en cours, d’une apocalypse à venir. Il est confronté à la peur de voir son monde se désagréger et disparaître. C’est en ce sens que nous avons travaillé avec Jay Gambit, musicien noise de la scène de Philadelphie. Lors d’une session d’enregistrement en France, il a composé, d’après un premier montage image, une partition à l’aide d’instruments appartenant au folklore appalachien et de 8 bruits d’industries minières – jadis très présentes dans l’est du Kentucky, mais désormais appelées à disparaître – enregistrés in situ. Il les a travaillés jusqu’à les rendre méconnaissables, comme un écho lointain d’un passé révolu. La musique prolonge ainsi le ressenti de Brian et donne à entendre l’agonie d’une région et le sombre pressentiment de celui qui y assiste. Quand la musique apparaît, elle est souvent l’élément moteur de la séquence. Nous avons accordé beaucoup d’attention aux effets sonores, par le biais de coupes franches et sèches, de recours à la saturation, à la sous-modulation, ou à l’inverse à l’amplification sonore. C’est un moyen pour nous de communiquer des émotions sans passer par les mots ou les situations.

Sortie initialement prévue le 30 décembre

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