Entretien avec Arnaud Malherbe, créateur de la série fantastique Moloch

 


Créateur de la série MolochArnaud Malherbe, déjà réalisateur de Belleville Story pour ARTE, revient sur la genèse de ce thriller envoûtant et sur deux de ses composantes capitales : le fantastique et l’injustice sociale.  

  

Moloch appartient au genre thriller, mais flirte avec un fantastique de l’émotion, suscité par la colère ou le deuil des personnages…  
Arnaud Malherbe : À mes yeux, le fantastique s’apparente à la poésie. Il doit parler nécessairement de ce que l’on vit, de la réalité, mais grâce au détour, au pas de côté. Ce parallèle est important pour moi, parce qu'il permet d’accéder à l’émotion ou au sens. On peut comprendre le monde par la poésie fantastique, la peur, la sensation, le rêve. Sur le deuil, la façon de se retrouver ou d’exprimer sa colère, le surnaturel est le prolongement d’une émotion, qui l’enrobe et l’amplifie.

Que pensez-vous de la place du fantastique dans la création audiovisuelle actuelle ?  
Sur le grand écran, en France, c’est compliqué – et rarissime. Je viens de l’expérimenter avec mon premier long métrage, Ogre, actuellement en montage. Sur le petit écran, c’est un genre qui monte en revanche, mais le mot "fantastique" englobe en fait plusieurs courants. Ce qui est à la mode aujourd’hui, et qui permet à un certain public de s’intéresser au genre, est un surnaturel récréatif, spectaculaire. Très bien ! Mais le champ possède une large variété de couleurs différentes, que la télévision n’exploite pas suffisamment en France, en dehors d’ARTE, il me semble. Pour moi, le fantastique est une famille et je me réjouis que les choses bougent, malgré la difficulté, comme souvent, du financement.

L’autre pendant de la série, c’est l’impunité, l’injustice sociale.  
Moloch suit des personnages impactés par un châtiment semblant tomber du ciel et qui se demandent : l’ai-je mérité ? Leur quête intérieure les amène à se confronter à leur passé et à des traumatismes. Cela les incite à s’interroger sur l’essence même de ce que signifie mener une vie dans le monde d’aujourd’hui. On peut y voir un parallèle avec ce que chacun de nous a vécu, lors des attentats de ces dernières années, par exemple ; un sentiment d’injustice absolue qui peut appeler à la violence. Il était important pour moi de créer un thriller surnaturel qui ne repose pas que sur les mécanismes d’effroi : je tenais à y insérer de la politique, dans le contexte social actuel, et le climat de révolte qui embrase notre époque.

Une société telle que vous la décrivez se dirige-t-elle inexorablement vers l’acte radical ?
Je le crois, sans pour autant le souhaiter. Le processus implacable de la mécanique capitaliste techno-industrielle, qui in fine détruit le vivant, trouvera son aboutissement, quel qu’il soit, mais surtout, il porte autre chose : l’écart ne cesse de se creuser entre pauvres et riches. Dans cette période de grandes disparités sociales, cette masse de personnes délaissées ou opprimées est un train lancé à grande vitesse qui va nécessairement se fracasser sur quelque chose. Moloch est nourri de cela. J’ai même été surpris par l’actualité, car j’avais commencé à m’intéresser à ce projet fictif de révolte sociale avant l’émergence du mouvement des “gilets jaunes” et les nombreuses manifestations à travers le monde, qui, par certains aspects, résonnent avec la série... On a tous une part de Moloch en nous, cette colère brute qui appelle à la révolte face à l’injustice, de façon désordonnée ou vaine parfois, mais inéluctable…

Vous accordez une grande importance à l’esthétique… 
Un grand nombre de séries, extrêmement solides sur le plan dramaturgique, ne présentent pas un grand intérêt sur le plan visuel. Dès le départ, pour Moloch, j’ai voulu "écrire des images", construire un univers singulier, autour, notamment, de la thématique du feu, cette image très forte de gens qui s’embrasent spontanément... J’avais aussi le désir d’inscrire la narration dans des unités de temps et de lieu floues, avec cette ville côtière postindustrielle qui n’est pas nommée. Pour que cela "vive" à l’écran, il fallait une esthétique formelle aussi forte que la dramaturgie.

Qu’apporte le duo formé par Olivier Gourmet et Marine Vacth ?
Outre sa puissance, sa densité et son ambiguïté, j'ai apprécié Olivier Gourmet pour la dynamique qui se créait entre lui et Marine Vacth. Je ne voulais pas d’une histoire d’amour entre ces personnages, mais quelque chose de l’ordre du filial, qui toucherait, malgré leur antagonisme. Ces deux êtres cherchent à se sauver l’un l’autre et leur opposition de style m’a passionné. C’est la réunion du feu et de l’eau. Marine Vacth est en soi un personnage hors norme, à travers son évanescence naturelle, sa mélancolie, ce trouble qu’elle a dans le regard, la dureté, la solitude, la douleur aussi, qui peuvent la traverser. Elle est une formidable Louise de rêve et de cauchemar. Je mentionnerais également le personnage de Jimmy, qu’interprète Marc Zinga. C’est le seul, avec Jan Hammenecker, que j’avais en tête dès l’écriture. J'ai découvert Marc dans le film Mister Bob, où il joue le dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko. L’étrangeté glaçante qu’il instillait au personnage, malgré son allure modeste et discrète, m’a fasciné. Il est sans conteste l’un des cœurs incandescents de Moloch.  

La série est coécrite par votre compagne, la scénariste Marion Festraëts. Comment s’est partagé le travail d’écriture ?
Il ne s'agit pas de notre première collaboration. Nous avions créé la série Chefs ensemble. Sur Moloch, disons que je suis le papa. J’ai écrit la bible [le document de travail qui réunit l'ensemble des informations fondamentales concernant la série, NDLR] et le premier épisode, puis Marion m’a rejoint pour écrire avec moi les cinq autres épisodes. Elle a adopté Moloch. Sans elle, la série ne serait pas la même. Nous avons travaillé à deux têtes et quatre mains. On parle beaucoup, on échange, on s’enthousiasme, puis naturellement les arches narratives se dessinent, suivies des séquences, des dialogues. On se partage les épisodes, on écrit, on relit, et on repasse sur le travail de l’autre. Nos échanges s’avèrent parfois vifs mais ils sont toujours excitants et fructueux. Le tout sous le regard précieux de notre producteur, Xavier Matthieu, présent depuis le début de l’histoire.

Propos recueillis par François Pieretti  

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