# Critique "Abou Leila". Drame. Approche intellectuelle ambitieuse du traumatisme de la décennie noire algérienne
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La soif de vengeance, exacerbée dans le désert de Abou Leila |
Présenté à la Semaine Internationale de la Critique Cannes 2019
Synopsis
Algérie, 1994. S. et Lotfi, deux amis d’enfance, traversent le désert à la recherche d’Abou Leila, un dangereux criminel. La quête semble absurde dans l’immensité du Sahara. Mais S., dont la santé mentale est vacillante, est convaincu d’y trouver Abou Leila. Lotfi, lui, n’a qu’une idée en tête : éloigner S. de la capitale. C’est en s’enfonçant dans le désert qu’ils vont se confronter à leur propre violence.
Note 3,5/5. Premier film d’Amin Sidi-Boumédiène. La narration lente et énigmatique du film, qui ne prend tout son sens qu'à la fin, étonne. Tournées comme dans un polar, les images parfois très violentes et l’animalité du personnage S. (pas de nom) symbolisent le traumatisme («Le pays est un asile à ciel ouvert » déclare un personnage) de toute la société algérienne. Cela donne un film «cérébral» ambitieux, parfois lent, parfois fascinant et intense comme le désert. Belle photographie, et bande son originale, mélange de bruits angoissant à la dimension onirique.

Slimane Benouari dans Abou Leila
"A présent le serpent rusé chemine
En douce humilité.
Et l'homme juste s'impatiente dans les déserts
Où les lions rôdent."
William Blake
« Cette citation de Blake placée en exergue du film contient tout le film. Elle permet de l'inscrire dans ses inspirations principales qui sont surtout littéraires, comme la tragédie grecque et les grands mythes anciens. Ce qui en ressort, c'est l'animalité qui symbolise ce que nous avons d’enfoui au plus profond de nous. Ce thème convoque des auteurs comme Nietzsche, Jung ou René Girard pour la notion de sacrifice. Mais aussi la Bible et le Coran qui utilisent aussi la figure animale. » Amin Sidi-Boumédiène

Slimane Benouari dans Abou Leila
Note d’intention du réalisateur Amin Sidi-Boumédiène
La guerre civile algérienne des années 1990 a fait des milliers de victimes et a durablement traumatisé le peuple algérien. Les explications qu’on a tenté de trouver à un tel déchaînement de haine sont nombreuses, chaque camp accusant l’autre d’être à l’origine du sang versé. Pour ceux qui, comme moi, ont vécu ces événements alors qu'ils entraient dans l’adolescence, ces années sont d’abord affaire de sentiments : ceux de la peur, l’angoisse, et
l’incompréhension face a un conflit dont on ne détient pas les clés mais dont on nous sert à chaque repas les images atroces qu'il produit, avec l’impression parfois inconsciente de n'avoir aucun pouvoir sur le cours des événements.
Dans cette optique, situer cette poursuite entre deux hommes traumatisés et un terroriste invisible dans le désert me permet de sortir du contexte politique et social, et de faire de la violence une entité en soi, qui contamine et dévaste jusqu’à la plus innocente forme de vie.
Je ne désire pas raconter l'histoire du terrorisme algérien, mais des traumatismes subis par mes personnages, aussi importants pour comprendre les mécanismes à l’ouvrage. Ceux qu’ont subi les policiers sont les plus importants, puisqu’ils étaient en première ligne et particulièrement visés du fait qu’ils possédaient une arme, d’où l’importance de celle-ci aux yeux de Lotfi. Le visage d'Abou Leila n'est qu'une image de la violence, celle qu’ont tous les
algériens de cette période, mais aussi, désormais, celle du monde entier puisque le mot « terroriste›› est presque devenu pour certains synonyme de « djihadiste ››. C’est le fameux « barbu sans âme ›› au regard fixe, comme le célèbre Djamel Zitouni sur une photo non moins célèbre. La photo d'Abou Leila, de même facture, devient au fin fond du désert l’un des deux repères de S. dans le cheminement de sa violence, qui ne cherche pas tant Abou Leila qu'une victime lambda capable de se substituer à l'ennemi, véritable mais inaccessible.

Slimane Benouari et Lges Salem dans Abou Leila
La période de la « décennie noire ›› est essentielle pour moi et d’autres de ma génération car elle a constitué la toile de fond indépassable de notre jeunesse. Comprendre les fondements de cette période, c’est embrasser les causes profondes de cette violence qu’on a côtoie de près et qui, de par les traumatismes causés à tout un peuple, nous a contaminés d’une façon ou d’une autre.
Abou Leila se base sur des éléments simples : un décor quasi unique mais changeant (le désert), des personnages énigmatiques mais éminemment fragiles, des scènes de rêve traduisant le cheminement inconscient du héros. Mais surtout, malgré son aspect “thriller” et sa violence, le film est empreint d'une certaine mélancolie, visuelle et auditive, rappelant que la violence oublie toujours la beauté quelle est sur le point de gâcher.
Liste artistique
Slimane Benouari S.
Lges Salem Lotfi
Azouz Abdelkader Abdel Karim
Fouad Megiraga Mohamed
Mergem Medjkane Meriem
Hocine Mokhtar Abou Leila
Samir El Hakim Gendarme en chef
Sortie le 15 juillet
En douce humilité.
Et l'homme juste s'impatiente dans les déserts
Où les lions rôdent."
William Blake
« Cette citation de Blake placée en exergue du film contient tout le film. Elle permet de l'inscrire dans ses inspirations principales qui sont surtout littéraires, comme la tragédie grecque et les grands mythes anciens. Ce qui en ressort, c'est l'animalité qui symbolise ce que nous avons d’enfoui au plus profond de nous. Ce thème convoque des auteurs comme Nietzsche, Jung ou René Girard pour la notion de sacrifice. Mais aussi la Bible et le Coran qui utilisent aussi la figure animale. » Amin Sidi-Boumédiène

Slimane Benouari dans Abou Leila
Note d’intention du réalisateur Amin Sidi-Boumédiène
La guerre civile algérienne des années 1990 a fait des milliers de victimes et a durablement traumatisé le peuple algérien. Les explications qu’on a tenté de trouver à un tel déchaînement de haine sont nombreuses, chaque camp accusant l’autre d’être à l’origine du sang versé. Pour ceux qui, comme moi, ont vécu ces événements alors qu'ils entraient dans l’adolescence, ces années sont d’abord affaire de sentiments : ceux de la peur, l’angoisse, et
l’incompréhension face a un conflit dont on ne détient pas les clés mais dont on nous sert à chaque repas les images atroces qu'il produit, avec l’impression parfois inconsciente de n'avoir aucun pouvoir sur le cours des événements.
Dans cette optique, situer cette poursuite entre deux hommes traumatisés et un terroriste invisible dans le désert me permet de sortir du contexte politique et social, et de faire de la violence une entité en soi, qui contamine et dévaste jusqu’à la plus innocente forme de vie.
Je ne désire pas raconter l'histoire du terrorisme algérien, mais des traumatismes subis par mes personnages, aussi importants pour comprendre les mécanismes à l’ouvrage. Ceux qu’ont subi les policiers sont les plus importants, puisqu’ils étaient en première ligne et particulièrement visés du fait qu’ils possédaient une arme, d’où l’importance de celle-ci aux yeux de Lotfi. Le visage d'Abou Leila n'est qu'une image de la violence, celle qu’ont tous les
algériens de cette période, mais aussi, désormais, celle du monde entier puisque le mot « terroriste›› est presque devenu pour certains synonyme de « djihadiste ››. C’est le fameux « barbu sans âme ›› au regard fixe, comme le célèbre Djamel Zitouni sur une photo non moins célèbre. La photo d'Abou Leila, de même facture, devient au fin fond du désert l’un des deux repères de S. dans le cheminement de sa violence, qui ne cherche pas tant Abou Leila qu'une victime lambda capable de se substituer à l'ennemi, véritable mais inaccessible.

Slimane Benouari et Lges Salem dans Abou Leila
La période de la « décennie noire ›› est essentielle pour moi et d’autres de ma génération car elle a constitué la toile de fond indépassable de notre jeunesse. Comprendre les fondements de cette période, c’est embrasser les causes profondes de cette violence qu’on a côtoie de près et qui, de par les traumatismes causés à tout un peuple, nous a contaminés d’une façon ou d’une autre.
Abou Leila se base sur des éléments simples : un décor quasi unique mais changeant (le désert), des personnages énigmatiques mais éminemment fragiles, des scènes de rêve traduisant le cheminement inconscient du héros. Mais surtout, malgré son aspect “thriller” et sa violence, le film est empreint d'une certaine mélancolie, visuelle et auditive, rappelant que la violence oublie toujours la beauté quelle est sur le point de gâcher.
Liste artistique
Slimane Benouari S.
Lges Salem Lotfi
Azouz Abdelkader Abdel Karim
Fouad Megiraga Mohamed
Mergem Medjkane Meriem
Hocine Mokhtar Abou Leila
Samir El Hakim Gendarme en chef
Sortie le 15 juillet
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