# Critique Le lac aux oies sauvages, un thriller virtuose de Diao Yinan





Le lac aux Oies Sauvages

Après Black Coalun thriller virtuose de Diao Yinan


Synopsis
Un chef de gang en quête de rédemption et une prostituée prête à tout pour recouvrer sa liberté se retrouvent au cœur d’une chasse à l’homme. Ensemble, ils décident de jouer une dernière fois avec leur destin.


Note 4,2/5. Violent, élégant, chorégraphique et parfois romantique, Diao Yinan dépasse le cadre du thriller pour être un révélateur implacable de la société chinoise.


Critique
Si le sujet du film est classique, Diao Yinan le traite avec une esthétique raffinée, jouant avec les ombres et les lumières (un parapluie transparent, des chaussures lumineuses, des néons), avec les bruits ambiants (le clapotis des vagues). Avec lui les courses à moto, déjà impressionnantes, deviennent de superbes chorégraphies, les regards des animaux créent une atmosphère irréelle. En même temps, on sent une tension permanente due à une grande violence. La critique sociétale est là aussi quand le réalisateur met en parallèle les méthodes et la violence de la police et celles des gangs.



                                         
Le lac aux oies sauvages



Verbatim du réalisateur Diao Yinan

« Je suis grand lecteur et spectateur "d'œuvres noires" occidentales des années 40 et 50, ce genre se prête à l'expression personnelle d'observations sur les hommes et sur la société. J'avais imaginé l'histoire du LAC AUX OIES SAUVAGES avant de tourner BLACK COAL, mais je ne la trouvais pas assez aboutie et je l'avais mise de côté. C'est alors que les médias ont rapporté une histoire similaire : mon idée n'était plus une hypothèse littéraire, elle était passée dans laréalité. Je me suis mis à l'écriture du scénario, qui a duré deux ans, en veillant beaucoup à l'ancrage de l'histoire dans la réalité. Un exemple : une "Assemblée nationale des voleurs" s'est vraiment tenue à Wuhan* en 2012, avec des délégués venus de tout le pays. Ils ont été dénoncés, et quand la police est arrivée, ils étaient en pleine répartition des territoires devant une carte de la ville ! Quand j'ai lu cette histoire, j'ai éclaté de rire et j'ai trouvé que ça ferait une scène formidable, satirique au possible.


Le lac aux Oies Sauvages


Brecht, les Mille et une nuits, l'opéra de Pékin

La première image qui m'est venue en tête était celle de la rencontre d'un homme et d'une femme dans une petite gare de banlieue, un soir de pluie. Pour dérouler la suite, les flashbacks se sont imposés. Le flashback permet une certaine distanciation, comme dans le cas des narrateurs de Brecht, qui interrompent le flux du récit pour nous rappeler à la raison. J'ai aussi repensé à la structure des Mille et une nuits, ce très vieux texte qui peut avoir un usage très moderne.
Je suis aussi influencé par la conception de l'espace dans l'opéra de Pékin, par la liberté de ses enchaînements entre scènes. Je m'intéresse moins à la description des contextes ou des paysages sociaux qu'à ce que dessinent le mouvement et le geste, même s'ils sont de natures différentes.


                                                                Le lac aux oies sauvages


Deux mondes, deux cinémas de genre
Le jianghu*, le monde des marges et de la pègre, existe dans ces vastes territoires à la périphérie de ces villes. Pour moi, cela a été un choix quasi instinctif, c'est le choix d'un certain romantisme, et pas de romantisme sans le jianghu !
Un film policier ne peut évidemment pas se passer de policiers - et le jianghu encore moins ! La différence, c'est que mes policiers sont en civil. On pourrait croire qu'ils appartiennent au jianghu. Ils ne portent pas les uniformes qui désignent la société "normale" et le pouvoir de la loi.
Ce sont donc moins deux mondes que deux réalités appartenant au même monde, des parallèles qui se croisent, indispensables l'une à l'autre.
Le film noir occidental comme le film de cape et d'épée chinois (wuxiapian) recherchent tous deux un certain romantisme, même si le wuxiapian privilégie une expression plus "poétique". L'homme en fuite pourrait être un chevalier errant d'aujourd'hui, et la "baigneuse" une courtisane de l'ancien temps, mais surtout, mes héros ont des faiblesses et peurs. Chez eux, le "chevaleresque" (xia) et la "vertu" (yi) ne sont pas affaire de serment solennel, ni d'entraînement. Ce sont des choses qui surviennent dans la banalité du quotidien : le personnage est brusquement acculé à ce destin par une force qui le dépasse.



Le lac aux Oies Sauvages


L'eau, la femme, le Sud
J'avais envie d'un film où l'eau serait présente dans les scènes, et d'images associant la femme et l'eau. J'avais le souvenir de photographies en noir et blanc vues dans le passé, notamment la photo d'une femme avec un sourire mystérieux, étendue le long du bastingage d'une barque, tandis qu'en arrière-plan on voit scintiller une eau limpide. C'est comme ça que s'est imposée la figure de la "baigneuse"*, forme de prostitution bon marché qui existe dans les villes en bordure du Fleuve bleu.



      Le lac aux oies sauvages
L'histoire supposait un lac à la lisière d'une ville. La région de Wuhan compte de très nombreux lacs, on surnomme même Wuhan "la ville aux cent lacs". C'est aussi une ville gigantesque, où la culture portuaire, conjuguée à l'industrialisation et à la civilisation urbaine, a donné des paysages d'une incroyable variété. Mon directeur de la photographie Dong Jinsong et moi n'avons pas hésité longtemps avant de nous décider. Je ne souhaitais pas montrer une Wuhan "figurative", de type réalisme social.
Je voulais une ville du Sud, abstraite, réinventée. Nous avons fait des repérages dans un périmètre de 200 km autour de Wuhan, nous avons choisi les décors les plus justes, et nous les avons "montés" ensemble.

Nocturne

Un homme poursuivi par la police a besoin du "couvert de la nuit". La nuit, c'est le mystère, et c'est aussi la mort qui rôde, des créatures insolites qui surgissent des ténèbres. L'indistinct, le vacillant et le vague augmentent la palette de la caméra, je dirais que la nuit ajoute des filtres à l'objectif, et on peut retrouver l'élégance et l'abstraction du noir et blanc. Les taches lumineuses, les couleurs plus denses et les rues désertes deviennent un rêve venu du fond des ténèbres. La nuit m'engage aussi à prendre des risques, à me confronter au mythe.
Sous les projecteurs, le monde prend une dimension surréelle, l'homme rôde comme un animal à la frontière mouvante entre rêve et réalité. J'adore les ombres qui naissent entre lumière et obscurité et je les filme obstinément.
Et puis, il y a le silence de la nuit, un silence où il semblerait qu'un trait de lumière lui-même soit sonore.
Je traite généralement les sons réels en musique du monde et j'attends de la bande son qu'elle privilégie leur rythme et leur musicalité. Le frottement sur les rails des roues d'un train évoquera un roulement de tambour, et des chocs métalliques résonneront comme de la musique concrète. Les voix humaines peuvent être travaillées comme des appels d'animaux, ou de manière à ce qu'il soit impossible de distinguer un homme d'une bête. Je travaille aussi l'aspect psychologique du son : le son s'éloigne peu à peu de la réalité pour s'exacerber ou devenir abstrait, afin d'exprimer l'état d'âme d'un personnage à un moment donné »

*jianghu ("rivières et lacs") : ce mot désigne toutes les catégories "en marge" de la conformité sociale, des chanteurs de rues et chevaliers errants de la Chine ancienne à la pègre et aux gangsters.
*Wuhan : sur les rives du Fleuve bleu, à 700 km à l'ouest de Shanghai, premier port fluvial de Chine.
*baigneuse : littéralement "femme qui tient compagnie à la baignade"


Liste artistiqueZHOU Zenong HU Ge
LIU Aiai GWEI Lun Mei
Capitaine LIU LIAO Fan
YANG Shujun WAN Qian
HUA Hua QI Dao
YAN Ge HUANG Jue
PING Ping ZENG Meihuizi
XIAO Dongbei ZHANG Yicong
Client CHEN Yongzhong

Sortie le 25 décembre


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