Rétrospective Sterling Hayden (Johnny Guitar) à la Cinémathèque du 23 octobre au 4 novembre

Johnny Guitar
 Une belle gueule, une présence, une silhouette taillée dans le roc : Sterling Hayden porte aussi bien le Stetson que l'imper de flic dans la cinquantaine de rôles qu'il endosse entre 1940 et 1980.
Johnny Guitar, Dr. Folamour ou Le Parrain sont les somptueux jalons d'une carrière morcelée, qui dessine une histoire du cinéma entre John Huston, Kubrick, Robert Altman, ou Coppola. Marin chevronné qui sillonne le monde et ses océans, héros de guerre, écrivain et aventurier à tendance anarchiste, il reste à bonne distance d'Hollywood qu'il déteste, pratique le métier d'acteur en dilettante désabusé. Dans la vie et sur l'écran, un homme à part, un héros torturé.

LE HÉROS TORTURÉ
« I'm a professional irregular. » (Sterling Hayden)
The Asphalt Jungle (Quand la ville dort, 1950) est le septième film de Sterling Hayden, mais c'est le premier qui compte pour nous : la découverte, sinon d'une star, au moins d'une silhouette, puis d'un faciès. Il est la première figure que l'on voit marcher à grands pas la nuit dans une rue, il est dans la première scène dialoguée ; il est dans le line-up de police, intimidant du regard le témoin qui pourrait le reconnaître. Les yeux durs, le pli amer au coin des lèvres. Durant tout ce temps il n'a pas dit un mot. Ce sera souvent son mode opératoire à l'écran. Parfois, comme dans The Killing (Stanley Kubrick, 1956), la gestuelle seule suffit à le rendre inoubliable.
John Huston avait eu du mal à imposer l'acteur pour le rôle de Dix Hanley, le dur de Quand la ville dort. MGM avait exigé un essai filmé – la scène dans laquelle ce personnage solitaire s'ouvre sur son passé, grâce à la gentillesse éperdue de Jean Hagen. Huston avait perçu en lui ce conflit entre virilité et fragilité, assurance et doutes permanents, qui caractériseront sa vie personnelle. Les deux hommes resteront amis, échangeant une correspondance sporadique. Huston sera l'un des derniers à rendre visite à l'acteur sur son lit de mort en 1986, avant de s'éteindre lui-même l'année suivante. Personnalités très différentes, ils étaient du même moule sur le travail : pour eux, la vie comptait plus que le cinéma.

UN DILETTANTE À HOLLYWOOD
On croit souvent que la cassure s'est faite pour Hayden lorsqu'il a eu la faiblesse de témoigner et donner des noms devant les chasseurs de sorcières à Washington en avril 1951. Mais elle a, en fait, toujours existé.

Journey Into Light
Car il a beau avoir fait l'expérience des bateaux de pêche dès l'âge de 16 ans, fait plusieurs tours du monde sur voiliers et être devenu, à 22 ans, le plus jeune capitaine du pays, Hayden a toujours minimisé ses aventures en mer. Tout comme il se trouvait imposteur devant une caméra, il se trouvait « touriste » sur les goélettes, et même comme soldat – malgré une guerre en Yougoslavie plus qu'honorable. Hayden était aussi une attachante girouette existentielle qui toute sa vie a oscillé entre idéaux politiques et confort personnel, faits d'armes et pieds de nez à la justice (son fameux voyage illégal à Tahiti avec ses quatre enfants en 1956), et capitulations pour lesquelles il s'est battu la coulpe jusqu'à sa mort. Il a bien sûr accompli plus dans ses nombreuses vies que la plupart d'entre nous, mais n'était fier que de ses deux livres, succès artistiques autant que commerciaux (son autobiographie, Wanderer, véritable création littéraire, plus un gros et puissant roman, Voyage, publié 13 ans plus tard). Il a aussi souffert d'alcoolisme et de dépressions le plus gros de son existence.

Catapulté glamour boy en 1940 avec deux films Paramount, il fuira Hollywood par deux fois. Tragiquement, c'est pour sauver une carrière d'acteur qu'il dédaignait qu'il a trahi ses amis politiques. Résultat : « Des films de merde pendant dix ans », selon lui. En 1951, il n'a pas fait un film depuis un an. Quand il se voit finalement offrir la vedette dans Journey Into Light, une production indépendante dirigée par Stuart Heisler, il doit interrompre le tournage pour aller témoigner à Washington. Heisler retrouvera Hayden en meilleur état deux ans plus tard pour The Star.
De cette période, on ne retient que Crime Wave, tourné guerilla style en 13 jours par André De Toth, dans lequel Hayden joue un inspecteur de police qui mâchouille un cure-dent pour s'empêcher de fumer – accessoire qui fascinait Jean-Pierre Melville (voir Dessailly dans Le Doulos). Johnny Guitar est bien sûr un film que l'on aime et qu'il détestait, jugement peut-être coloré par les journées déplaisantes passées en face de Joan Crawford, qui avait détourné l'histoire à son profit.

Le Privé (avec  Elliott Gould)
Parmi les films de Hayden à cette époque on dénombre beaucoup de westerns, et on s'aperçoit que soit on les aimait tous, soit on n'en voyait aucun. Shotgun, du vétéran Lesley Selander, se distingue un peu du reste, à cause de son histoire farfelue et du duel final absurde. Hayden y est beau comme un dieu. Sortent également du lot des curiosités comme Valerie (western « Rashomon » de Gerd Oswald en 1957), ou l'étrange Terror in a Texas Town, dernier film de Joseph H. Lewis.

LE « CHARACTER ACTOR »
Seuls des gens comme Huston, Kubrick ou Altman ont su se servir de sa fébrilité devant la caméra. Son triomphe le plus durable est Jack D. Ripper, le général parano qu'il campe dans Docteur Folamour, même si la prestation fut obtenue au forceps (46 prises pour un des plans). En 1968, alors qu'il tournait en Espagne le curieux film d'espionnage Hard Contract, James Coburn lui fit connaître les effets bénéfiques des pétards, à la fois pour contrôler son alcoolisme et le libérer de sa peur devant la caméra. Il y a véritablement un avant et un après : Altman lui donne un rôle inoubliable dans The Long Goodbye, en écrivain alcoolique et bloqué, ce qu'il était dans la vie. Il devient alors un character actor, fétiche pour les nouveaux cinéastes, et sa filmographie prend un tour fantasque : dans des films comme The Final Programme, Deadly Strangers ou Winter Kills, il est souvent un film dans le film. Mais on le retrouve toujours avec plaisir. Et entre ces travaux d'occasion (où il est plus larron qu'autre chose), il y a toujours des rôles marquants, comme celui du flic dans Le Parrain, ou celui du patriarche paysan dans 1900.

D'après Philippe Garnier


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