Tu Mérites un Amour : le meilleur film de la semaine (du mois) signé Hafsia Herzi



Un très grand film sur la jeunesse 

"La France (métissée) d'ajourd'hui, on la voit pas souvent au cinéma" (HH)

Un très beau premier film, réalisé avec des bouts de chandelle (1000 €) et beaucoup d'amour (du cinéma) Hafsia Herzi réussit à nous faire pleurer et rire, et on est transporté du début à la fin, dès le premier plan, dans cette histoire de chagrin d'amour. Mise en scène remarquable de la précarité des relations amoureuses, du désenchantement et jeu d'actrices et d'acteurs tout en finesse devant et derrière la caméra : Hasfia est la fille spirituelle de Kéchiche. 

Note frenchtouch : 4,5/5. Un des meilleurs films de Cannes 2019 qui on l'espère va bénéficier d'un bon bouche à oreille pour rester longtemps à l'affiche. Un parfum de liberté et de limpidité qui nous fait penser à la nouvelle vague.




Rémi (Jérémie Laheurte) et Lila (Hafsia Herzi) dans « Tu mérites un amour »

SYNOPSIS 
Suite à l'infidélité de Rémi, Lila qui l'aimait plus que tout vit difficilement la rupture. Un jour, il lui annonce qu'il part seul en Bolivie pour se retrouver face à lui-même et essayer de comprendre ses erreurs. Là-bas, il lui laisse entendre que leur histoire n'est pas finie... Entre discussions, réconforts et encouragement à la folie amoureuse, Lila s'égare...


Film français de Hafsia Herzi. Avec Hafsia Herzi, Jérémie Laheurte, Djanis Bouzyani, Anthony Bajon (1 h 42). rezofilms.com/distribution/tu-merites-un-amour ; facebook.com/RezoFilmsDistribution



ENTRETIEN AVEC HAFSIA HERZI 



Le premier plan d’un premier long-métrage n’est jamais anodin. Parlez-nous du vôtre… J’apparais de dos. Je marche d’un pas décidé. On ne sait pas où, on ne sait pas chez qui, mais j’y vais. Le spectateur devine que mon personnage a dû longtemps gamberger pour avancer ainsi. Je trouve que c’était une entrée en matière assez dynamique. Et je savais dès l’écriture que le plan serait ainsi. De la même manière que tout le film était découpé dans ma tête en amont. 

Pourquoi vouloir raconter, pour votre premier film, le deuil d’une histoire d’amour ? Parce que c’est un thème universel. Tout le monde connaît cela. Je raconte l’histoire d’une fille qui essaye de comprendre ce qui lui arrive alors qu’il n’y a rien à comprendre. Après une séparation, il y a le déni, l’espoir, la jalousie, la colère… La perte de contrôle, surtout. Lila fait des choses inexplicables. Parce que la perdition peut amener à la folie. Quels que soient les conseils de son entourage, rien n’y fait. Elle n’écoute pas. Ça ne rentre pas. Le cour reste hermétique. Il n’y a pas de remède. Tout dépend de Lila. Elle voudrait qu’on l’aide, mais cela ne servirait à rien. Elle ne doit compter que sur elle et sa volonté de s’en sortir. Faut-il qu’elle cherche toutes les solutions possibles pour en arriver à demander les services d’un marabout ! Parce qu’elle n’a plus d’espoir et quand je parlais de folie… Elle est perdue, elle veut se rassurer, elle essaye tout. Et puis là, c’est quand même le marabout d’Emmanuelle Béart, de Carla Bruni et Nicolas Sarkozy ! Là, je me suis fait plaisir : Bruni et Sarkozy, c’est pour la blague, Béart, c’est un clin d'oeil car je l’adore. 




 Pourquoi êtes-vous passé à la réalisation ? J’en ai toujours eu envie. J’ai d’ailleurs fait un court-métrage il y a 9 ans, Le Rodba. J’ai toujours voulu être libre et indépendante. Dépendre uniquement du désir des autres, ce n’est pas dans mon caractère. L’envie de créer, si. Le goût du défi, du challenge aussi. C’est même une passion. Quand je tournais dans La Graine et la mulet, j’avais déjà écrit des scénarios – mais qui ne ressemblaient pas à des scénarios, vu que je n’ai fait aucune école de cinéma. 
les ai montrés à Abdellatif Kechiche qui m’a encouragé et conseillé en me donnant des scénarios à lui, histoire que je sache au moins comment ça se présentait ! De toute façon, le jour où j’ai mis un pied sur le plateau de La Graine et le mulet, je savais que je voulais mettre en scène. Voir Abdellatif au travail a été un révélateur. Et comme, quand on est actrice, on a beaucoup de temps libre entre les tournages, je pouvais m’adonner à l’écriture. 

En bonne élève de Kechiche, vous faisiez autant de prises que lui ? Non, parce que je n’avais pas les moyens. On devait tourner vite. Cela dit, j’étais très bien entourée et dès que j’avais la bonne émotion, on passait à un autre plan. Je devais être rigoureuse. C’est galvanisant de faire un film, mais c’est très dur. On est comme un parent qui doit diriger ses enfants ! L’énergie du film dépend du réalisateur qui se doit de ne jamais flancher. Chaque jour est un défi. Vais-je obtenir ma scène, finir dans les temps, avoir un peu de magie ? J’étais à la fois directive et maternelle, nourrissant autant d’admiration que d’affect pour chaque membre de l’équipe. 





Il était clair dès le début que vous incarneriez Lila ? Honnêtement, non. J’ai joué dans mon court-métrage et je trouvais cela frustrant –je voulais toujours être derrière la caméra pour tout checker. Pour Tu mérites un amour, je n’ai pas eu le choix en fin de compte. Le film étant autofinancé (j’en suis la productrice !), je ne pouvais demander aux équipes de travailler bénévolement trois semaines d’affilée. On a donc tourné cinq jours par mois. Et sur quelle comédienne pouvais-je compter avec une telle organisation ? Moi, oui. C’était plus simple. 



Qu’entendez-vous exactement par « autofinancé » ? Je l’ai produit avec mon argent. Et je me suis débrouillé avec les commerçants, les hôteliers, les restaurateurs… Tout le monde était adorable. J’aurais pu demander des financements, des aides… mais je ne voulais pas perdre de temps. J’avais envie de réunir une troupe et de réussir un défi personnel. 

Du coup, vous avez des techniciens choisis en fonction de leur temps ? Pas du tout. Je voulais spécifiquement ces techniciens. L’objectif était de m’entourer de jeunes et de leur donner leur chance. On croise souvent, voire toujours les mêmes sur les plateaux. Là, je voulais confier des responsabilités à des gens qui n’en avaient jamais eu. Et ils ont été magnifiques ! La lumière de Jérémie Attard est superbe, le son de Guilhem Domercq est impeccable, le montage de William Wayolle est formidable… Ma première assistante aussi, Alexandra Maïo, a fait un travail extraordinaire : elle était toute seule pour tout gérer. Et c'était sa première fois également en tant que première. Je sais que sans moi, ils auraient tous attendu encore des années avant de devenir chef de poste. Ce sont des gens que j’ai rencontrés, pour la plupart, sur des tournages. Il y en a un, Lucas, qui sortait d’une école de cinéma, je l’ai invité sur le plateau et il était si motivé que je lui ai tout expliqué et lui ai offert son premier stage. D’ailleurs, il viendra avec tous les autres à Cannes présenter le film. Je me devais de leur faire vivre l’aventure jusqu’au bout. Sans eux, le film n’existerait pas. 



Et les comédiens, alors ? Outre Samir Guesmi et la réalisatrice Sylvie Verheyde, des amis qui sont venus en participation, il y en a beaucoup pour qui c’est la première apparition. Par exemple, le jeune homme du parc, Jonathan Eap, je l’ai rencontré lors d’une séance photo pour Pierre et Gilles. Il m’a confié vouloir tenter sa chance dans le cinéma. J’ai pris son numéro et je l’ai rappelé car je le trouvais très gentil et cinégénique. De toute façon, je n’ai pris que des personnes gentilles, respectueuses et déterminées. Jonathan était à ce point sincère que quand, lors d’une scène, je lui demande son numéro de téléphone, il donne son vrai 06 ! Il a évidemment fallu refaire la prise… Alexander Ferrario, qui joue Sergio, je l’ai également rencontré à une séance photo. Il faisait le clown, il était très drôle. Djanis Bouzyani, le meilleur ami de Lila, je le connais depuis qu’on a fait une voix ensemble sur Le Chat du Rabbin. J’ai toujours su que j’aurai envie de le diriger, il est très inspirant. Anthony Bajon, Charly, je l’avais vu dans La Prière de Cédric Khan. J’ai eu un coup de coeur. Il a une présence très forte, il est très juste, et on s’est rencontré au Festival de Cabourg (où Mektoub Canto Uno a été couronné). Jérémy Laheurte, Rémi, je l’avais repéré dans La Vie d’Adèle est très talentueux. Il y a Myriam Djeljeli aussi, qui joue l’ex, qui était ma petite soeur dans Sex Doll de Sylvie Verheyde. Pareil, elle est très touchante, très investie… C’est sa deuxième fois seulement au cinéma. J’ai tout de suite pensé à elle en écrivant. Tout était écrit ou il y a une part d’improvisation ? Tout était écrit. Le casting validé, j’ai adapté en fonction de la personnalité de chacun. J’ai appris à les connaître et, en fonction, j’ai modifié, voire ajouté des séquences. Pour les dialogues, le fait qu’ils se répètent, qu’ils bafouillent, c’était un autre défi : que cela sonne si juste qu’on se demande si tout cela n’est pas improvisé. Que ce soit ultra réaliste. Que le film ait une allure documentaire, alors qu’il est en vérité très dirigé. J’adore les hésitations et les bafouillages comme je déteste, dans certains films, les blancs appuyés entre deux dialogues. Alors oui, ils se répètent, mais parce que dans la vie, on se répète tout le temps. Si tout est écrit, vous avez sans doute remarqué votre tic de langage : « C’est une blague ! », qui revient très souvent dans votre bouche… Oui, car je le dis très souvent au quotidien. Il n’y avait pas de raison que je n’adapte pas mon personnage aussi ! Et encore, j’ai coupé ! Pour tout le monde, d’ailleurs ! Car je les encourageais à se répéter encore et encore ! 





Vous avez fait de Lila un personnage sexuellement très libéré… C’était important. Si elle a envie de coucher, elle couche. Sans regrets ni remords. Tu mérites un amour est un film dont le maître mot est liberté. Lila est libre. D’un point de vue artistique, le corps est pour moi comme un tableau. Il faut le filmer avec amour et sans tabou, sans tomber dans la vulgarité. Même quand Lila, qui tente vraiment tout sans parvenir à aller mieux, fait ce qui est pour elle l’ultime expérience, coucher avec un couple. Ça ne la traumatise pas pour autant. Il n’y a rien de grave là-dedans. Elle ne le vit pas comme un drame. C’est la vie. C’est sa vie. 

Quel est votre rapport aux crêpes et aux gaufres dont il est beaucoup question dans le film ? Mon rapport à la nourriture, vous voulez dire ! On voit beaucoup les personnages manger car la nourriture, c’est la vie. Une échappatoire aussi, quand on va mal. C’est également un signe de générosité et de partage. 

Et maintenant que vous avez goûté à la mise en scène, que va-t-il se passer ? Je vais recommencer. Très vite. Cet été, pour être précise. Je vais réaliser Bonne mère. A Marseille, donc ! On va tourner dans les Quartiers nord, là où j’ai grandi, où j’ai mes amis d’enfance. Le casting est fini et ne comporte que des amateurs, tous Marseillais. Et cette fois, c’est sûr, je ne jouerai pas dedans. J’aime toujours être actrice, mais la mise en scène est devenue mon choix prioritaire. Et comme j’ai plein d’autres idées de scénario…

Rencontre avec Hafsia sur ARTE


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