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La Chasse aux papillons de Otar Iosseliani |
Otar Iosseliani est l'un des plus grands cinéastes contemporains
COMME UN GÉORGIEN EN FRANCE
Après des études de piano à Tbilissi en Géorgie, sa ville natale, puis de mathématiques et de mécanique à Moscou, Otar Iosseliani s'oriente vers la mise en scène avec Aquarelle, son premier film, qu'il réalise en 1958.
Installé en France, il enchaîne les prix les plus prestigieux du cinéma mondial avec trois prix spéciaux du jury à la Mostra de Venise (Les Favoris de la lune, Et la lumière fut, Brigands, chapitre VII), un prix Louis-Delluc (Adieu, plancher des vaches !) et un Ours d'argent à Berlin (Lundi matin).
Esprit libre, tour à tour musicien, pêcheur, ouvrier métallurgiste et réalisateur, ses films qu'il décrit comme simples, honnêtes et têtus, « optimistes sans oublier que tout finira mal » constituent une œuvre étrangement poétique, délicatement burlesque et ironique, nourrie chez René Clair, Buster Keaton et Jacques Tati.
SE JOUER DU SYSTÈME
La Chute des feuilles (1966), premier long métrage d'Otar Iosseliani, se passe en Géorgie dans une coopérative de vinification. « Camarades, vous êtes dans une entreprise d'avant-garde : elle a été fondée en 1789 », dit la jeune Géorgienne chargée de conduire des visiteurs russes, admiratifs et prêts à entamer un hymne de salut au travail valeureux. Cette date, pourtant, 1789, ne leur met pas la puce à l'oreille, car enfin, comme avant-garde, à part dans les manuels d'histoire officielle, on fait mieux. Le spectateur, lui, dresse l'oreille, d'autant que cette coopérative, peuplée de joyeux buveurs, qui ne font pas vraiment la différence entre le bien collectif et le leur, n'est apparemment pas un modèle d'édification socialiste telle que la veulent les manuels d'éducation civique. Les censeurs virent bien de la subversion, mais que faire ? Le film, respectant les critères en usage ne pouvant être interdit, il fut, disons, peu encouragé.
Même tonalité pour le suivant, Il était une fois un merle chanteur (1970), ou l'art de mener une vie sociale intense pour un percussionniste qui s'évade de l'opéra entre les deux coups de grosse caisse qu'il doit frapper au début et à la fin d'un concert. Un bémol, pourtant : une montre, dans l'atelier d'horlogerie qu'il fréquente, à la fin, s'arrête, et une voiture, dans la rue, heurte un merle toujours pressé.
Ensuite, il y eut Pastorale (1975), l'histoire de quelques étudiants en musique de la ville envoyés dans un kolkhoze voisin pour servir les intérêts d'un apparatchik local. Une rencontre qui n'en est pas une, chacun vivant à son rythme. Seule, une toute jeune fille (jouée par Nana, fille d'Otar) aura quelque curiosité pour ces jeunes étrangers. Comme un éveil à la sensualité, qui se lit dans l'évolution de ses jupes paysannes. Restera, de l'aventure de fraternisation, une pomme que l'apparatchik croquera d'une dent paresseuse. Beauté toujours, avec ce film, acuité du regard, mais qui se teintent ici de mélancolie. Iosseliani, manifestement, n'en peut plus de ce jeu de cache-cache avec les autorités. Il doit partir.
EXIL JOYEUX ET NOUVELLE FAMILLE
Son film suivant, il le tourne en France, où il va s'installer. C'est Les Favoris de la lune (1984), ou la joie de vivre en cinéma. Iosseliani a reconstitué à Paris sa petite Géorgie, d'abord avec les amis français rencontrés en URSS, Pascal Aubier (cinéaste), Bernard Eisenschitz (historien), Mathieu Amalric (19 ans, son premier film), et les amis d'amis retrouvés à Paris.
Dans cette histoire folle d'objets volés au cours des siècles, passant de mains d'aristocrates à celles d'éboueurs au hasard d'un ramassage d'ordures, jouent avec eux Vincent Blanchet, cinéaste, anthropologue, élève de Jean Rouch, Jean-Pierre Beauviala, ingénieur électronicien, créateur d'Aaton à Grenoble, d'où sortit entre autres merveilles la caméra « paluche ». Et une figure nouvelle dans le cinéma, grand échalas à la démarche saccadée, profil et nez gaulliens : Yannick Carpentier, de son état gardien de l'annexe de la Cité des arts. On allait le retrouver, majordome, promeneur ou garde-chasse, toujours taiseux dans la plupart des films de Iosseliani. Salut au cinéma muet. Tous ceux-là, donc, et Paris, un Paris populaire, bistrots des rencontres inattendues, étalages croulants de fruits rue Mouffetard, racoleuses saluées par les voisins, policiers indispensables aux poursuites cocasses. Le Paris de René Clair tout autant que celui des années 80, jubilation de la découverte d'un monde nouveau.Bien des années plus tard, Chantrapas (2010), ou les aventures d'un cinéaste géorgien fuyant pour la France la censure de son pays, devait subir une autre forme de censure. Économique. Une certaine amertume, mais la même joueuse liberté de ton : vainqueur de ce match toujours rejoué, le cinéaste.
RIEN N'EST VRAIMENT SÉRIEUX
Retour en arrière : comme toutes les connaissances d'Otar, j'eus à faire quelques figurations dans certains de ses films. Dans La Chasse aux papillons (1992), où se rencontrent, dans une riche demeure de la région parisienne, un maharadjah, une châtelaine qui tire à l'arc les carpes de son bassin d'ornement, des bonzes safranés, une Soviétique arrachée à son appartement communautaire et des Japonais en quête d'une bonne affaire, nous étions, un aide-costumier et moi, gardes du corps du maharadjah. Non pour nos qualités d'acteurs, mais parce que nous avions une grande différence de taille. Doublepatte et Patachon avec mitraillettes et imperméables noirs de nervis. Comme nous devions mettre dans un train une malle supposée lourde mais en réalité vide, nous grimacions d'une douleur que nous pensions bien jouée. Alors, Otar : « Holà ! Vous vous croyez dans un film réaliste ? On est au cinéma ici ! »
Vrai : avec lui, on est toujours au cinéma. Dans Chant d'hiver (2015), le mur lépreux d'une rue grise s'entrouvre et le promeneur entre dans un jardin de paradis, oiseaux et plantes rares. Dans Adieu, plancher des vaches (1999), un marabout (l'échassier africain, pas le saint musulman) hante les réceptions chic. Dans La Chasse aux papillons, une vieille émigrée russe, entourée de photos d'autrefois, s'assoupit dans son salon. À son réveil, un mégot fume dans un cendrier. C'est un bel officier tsariste – on vient de voir son ombre hanter les rêves de la vieille dame, et naturellement, le rôle de cet officier est tenu par Iosseliani – qui fumait la cigarette au bout de carton. Et encore... mais à chacun des spectateurs de se réjouir à ces découvertes.
D’après Émile Breton
Esprit libre, tour à tour musicien, pêcheur, ouvrier métallurgiste et réalisateur, ses films qu'il décrit comme simples, honnêtes et têtus, « optimistes sans oublier que tout finira mal » constituent une œuvre étrangement poétique, délicatement burlesque et ironique, nourrie chez René Clair, Buster Keaton et Jacques Tati.
SE JOUER DU SYSTÈME
La Chute des feuilles (1966), premier long métrage d'Otar Iosseliani, se passe en Géorgie dans une coopérative de vinification. « Camarades, vous êtes dans une entreprise d'avant-garde : elle a été fondée en 1789 », dit la jeune Géorgienne chargée de conduire des visiteurs russes, admiratifs et prêts à entamer un hymne de salut au travail valeureux. Cette date, pourtant, 1789, ne leur met pas la puce à l'oreille, car enfin, comme avant-garde, à part dans les manuels d'histoire officielle, on fait mieux. Le spectateur, lui, dresse l'oreille, d'autant que cette coopérative, peuplée de joyeux buveurs, qui ne font pas vraiment la différence entre le bien collectif et le leur, n'est apparemment pas un modèle d'édification socialiste telle que la veulent les manuels d'éducation civique. Les censeurs virent bien de la subversion, mais que faire ? Le film, respectant les critères en usage ne pouvant être interdit, il fut, disons, peu encouragé.
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Un petit monastère en Toscane |
Ensuite, il y eut Pastorale (1975), l'histoire de quelques étudiants en musique de la ville envoyés dans un kolkhoze voisin pour servir les intérêts d'un apparatchik local. Une rencontre qui n'en est pas une, chacun vivant à son rythme. Seule, une toute jeune fille (jouée par Nana, fille d'Otar) aura quelque curiosité pour ces jeunes étrangers. Comme un éveil à la sensualité, qui se lit dans l'évolution de ses jupes paysannes. Restera, de l'aventure de fraternisation, une pomme que l'apparatchik croquera d'une dent paresseuse. Beauté toujours, avec ce film, acuité du regard, mais qui se teintent ici de mélancolie. Iosseliani, manifestement, n'en peut plus de ce jeu de cache-cache avec les autorités. Il doit partir.
EXIL JOYEUX ET NOUVELLE FAMILLE
Son film suivant, il le tourne en France, où il va s'installer. C'est Les Favoris de la lune (1984), ou la joie de vivre en cinéma. Iosseliani a reconstitué à Paris sa petite Géorgie, d'abord avec les amis français rencontrés en URSS, Pascal Aubier (cinéaste), Bernard Eisenschitz (historien), Mathieu Amalric (19 ans, son premier film), et les amis d'amis retrouvés à Paris.
Dans cette histoire folle d'objets volés au cours des siècles, passant de mains d'aristocrates à celles d'éboueurs au hasard d'un ramassage d'ordures, jouent avec eux Vincent Blanchet, cinéaste, anthropologue, élève de Jean Rouch, Jean-Pierre Beauviala, ingénieur électronicien, créateur d'Aaton à Grenoble, d'où sortit entre autres merveilles la caméra « paluche ». Et une figure nouvelle dans le cinéma, grand échalas à la démarche saccadée, profil et nez gaulliens : Yannick Carpentier, de son état gardien de l'annexe de la Cité des arts. On allait le retrouver, majordome, promeneur ou garde-chasse, toujours taiseux dans la plupart des films de Iosseliani. Salut au cinéma muet. Tous ceux-là, donc, et Paris, un Paris populaire, bistrots des rencontres inattendues, étalages croulants de fruits rue Mouffetard, racoleuses saluées par les voisins, policiers indispensables aux poursuites cocasses. Le Paris de René Clair tout autant que celui des années 80, jubilation de la découverte d'un monde nouveau.Bien des années plus tard, Chantrapas (2010), ou les aventures d'un cinéaste géorgien fuyant pour la France la censure de son pays, devait subir une autre forme de censure. Économique. Une certaine amertume, mais la même joueuse liberté de ton : vainqueur de ce match toujours rejoué, le cinéaste.
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Adieu, plancher des vaches |
RIEN N'EST VRAIMENT SÉRIEUX
Retour en arrière : comme toutes les connaissances d'Otar, j'eus à faire quelques figurations dans certains de ses films. Dans La Chasse aux papillons (1992), où se rencontrent, dans une riche demeure de la région parisienne, un maharadjah, une châtelaine qui tire à l'arc les carpes de son bassin d'ornement, des bonzes safranés, une Soviétique arrachée à son appartement communautaire et des Japonais en quête d'une bonne affaire, nous étions, un aide-costumier et moi, gardes du corps du maharadjah. Non pour nos qualités d'acteurs, mais parce que nous avions une grande différence de taille. Doublepatte et Patachon avec mitraillettes et imperméables noirs de nervis. Comme nous devions mettre dans un train une malle supposée lourde mais en réalité vide, nous grimacions d'une douleur que nous pensions bien jouée. Alors, Otar : « Holà ! Vous vous croyez dans un film réaliste ? On est au cinéma ici ! »
Vrai : avec lui, on est toujours au cinéma. Dans Chant d'hiver (2015), le mur lépreux d'une rue grise s'entrouvre et le promeneur entre dans un jardin de paradis, oiseaux et plantes rares. Dans Adieu, plancher des vaches (1999), un marabout (l'échassier africain, pas le saint musulman) hante les réceptions chic. Dans La Chasse aux papillons, une vieille émigrée russe, entourée de photos d'autrefois, s'assoupit dans son salon. À son réveil, un mégot fume dans un cendrier. C'est un bel officier tsariste – on vient de voir son ombre hanter les rêves de la vieille dame, et naturellement, le rôle de cet officier est tenu par Iosseliani – qui fumait la cigarette au bout de carton. Et encore... mais à chacun des spectateurs de se réjouir à ces découvertes.
D’après Émile Breton
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Avril |
- Adieu, plancher des vaches Otar Iosseliani / France, Suisse, Italie / 1998 Sa 1 juin 15h00Lu 17 juin 19h00
- Aquarelle Otar Iosseliani / URSS / 1958 CM Ve 31 mai 21h30Di 9 juin 15h30
- Avril Otar Iosseliani / URSS / 1961 Je 30 mai 19h30Sa 8 juin 17h30
- Brigands, chapitre VII Otar Iosseliani / France-Suisse-URSS-Italie / 1995 Sa 1 juin 21h00Di 16 juin 20h45
- Chant d'hiver Otar Iosseliani / France / 2014 Sa 8 juin 15h00Sa 22 juin 20h00
- Chant de la fleur introuvable (Le) Otar Iosseliani / URSS / 1959 CM Ve 31 mai 21h30Di 9 juin 15h30
- Chantrapas Otar Iosseliani / France-Géorgie-Ukraine / 2009 Di 2 juin 19h30Je 6 juin 20h30
- Chasse aux papillons (La) Otar Iosseliani / France, Allemagne, Italie / 1991 Me 29 mai 20h00Di 16 juin 18h15
- Chute des feuilles (La) Otar Iosseliani / URSS / 1966 Je 30 mai 21h30Je 6 juin 22h00
- Et la lumière fut Otar Iosseliani / France-Allemagne-Italie / 1989 Sa 1 juin 18h45Sa 15 juin 21h30
- Favoris de la lune (Les) Otar Iosseliani / France / 1984 Di 2 juin 14h30Sa 15 juin 19h00
- Fonte (La) Otar Iosseliani / URSS / 1964 CM Ve 31 mai 21h30Di 9 juin 15h30
- Il était une fois un merle chanteur Otar Iosseliani / URSS / 1971 Ve 31 mai 19h30Di 9 juin 16h30
- Jardins en automne Otar Iosseliani / France / 2005 Me 5 juin 19h00Lu 17 juin 21h30
- Lundi matin Otar Iosseliani / France-Italie / 2001 Me 5 juin 21h30Di 16 juin 15h45
- Pastorale Otar Iosseliani / URSS / 1976 Me 12 juin 16h00Me 19 juin 14h30
- Sept pièces pour cinéma noir et blanc Otar Iosseliani / France / 1982 CM Je 30 mai 19h30Sa 8 juin 17h30
- Vieilles chansons géorgiennes Otar Iosseliani / URSS / 1968 CM Ve 31 mai 21h30Di 9 juin 15h30
DOCUMENTAIRES
- Euskadi Otar Iosseliani / France / 1982 Sa 8 juin 19h45Sa 22 juin 18h30
- Seule, Géorgie Otar Iosseliani / France / 1993 Ve 7 juin 15h30Di 9 juin 17h30
- Un petit monastère en Toscane Otar Iosseliani / France / 1988 Lu 3 juin 17h00Ve 21 juin 20h30
AUTOUR D'OTAR IOSSELIANI
- Otar Iosseliani, le merle siffleur Julie Bertuccelli / France / 2006 Ve 7 juin 20h00
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