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Sept ans de réflexion |
Billy Wilder est l’auteur d'une succession de chefs-d'œuvre intemporels et l'un des grands noms d'un "studio system" qu'il a toujours su servir sans se départir de son esprit acéré et de son regard impitoyable.
Le spectacle de la société
Au firmament des grands cinéastes, Billy Wilder occupe une place paradoxale et toujours âprement discutée. Célébré comme l'auteur d'une succession de chefs-d'œuvre, il est néanmoins la cible d'un snobisme tenace, ne voyant dans sa virtuosité d'écriture et son ironie explosive que l'expression d'une profonde vulgarité. Vulgaire serait donc la façon dont Wilder, disciple du prince de la comédie Ernst Lubitsch, perpétua son héritage mais sans les bulles de champagne, en pratiquant un humour qui serrait de beaucoup plus près l'objet de ses litotes et allusions, accompagnant en cela le relâchement progressif du code Hays entre les années 1950 et 1970.
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Certains l'aiment chaud |
Vulgaire, vous avez dit vulgaire ?
Vulgaire serait aussi, à ce titre, son intérêt pour le sexe, fonds à peine déguisé de la plupart de ses récits, motivation ultime ou obsession de bon nombre de ses personnages, lui qui finira par filmer Jack Lemmon les fesses à l'air et Juliet Mills seins nus dans le sublime Avanti ! (1972). Comment n'a-t-on pas vu que la vulgarité était le propos même du cinéaste, moins préoccupé d'arbitrer les élégances que de soulever les jupons d'une société américaine puritaine et hypocrite, afin d'exposer, sous le mythe ronflant de la réussite individuelle, cette universelle trivialité des êtres humains et de leurs turpitudes ?
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Avanti ! Billy Wilder |
De la Galicie austro-hongroise à Hollywood
Samuel Wilder, dit Billy, est né le 22 juin 1906 à Sucha Beskidzka, petite ville de l'ancienne Galicie austro-hongroise. Il quitte rapidement son cursus de droit à l'université de Vienne, pour bifurquer vers le journalisme, passant des faits divers aux critiques de films. En 1926, il poursuit sa carrière de feuilliste à Berlin, grattant articles et feuilletons, et diversifie ses activités en faisant le gigolo dans les salons mondains (la prostitution sera un sujet récurrent de ses films) ou en amendant secrètement les scénarios des autres pour UFA, la grande société de production. En 1929, il participe à l'écriture des Hommes le dimanche, film miraculeux et collectif qui réunit autour de lui plusieurs débutants comme Fred Zinnemann, Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer. L'originalité du film, très remarquée, lance Wilder comme scénariste professionnel. Mais l'arrivée au pouvoir des nazis entraîne son exil en deux temps : d'abord en France pour une brève escale, où il tourne son premier long métrage, Mauvaise graine (1934), puis à Hollywood où il reprend bientôt ses activités de scénariste.
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Buddy buddy |
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Le Gouffre aux chimères (1951) |
Radiographie d'une société malade
Le Gouffre aux chimères (1951), œuvre magistrale et glaçante sur l'information-spectacle et le voyeurisme des foules, soldée par un échec public cuisant, marque un tournant dans la carrière de Wilder, qui rompt avec Brackett et s'engage plus avant sur le chemin de l'indépendance. À partir d'Ariane (1957), il entame un compagnonnage pérenne avec un autre scénariste, Diamond, qui lui ouvre le chemin de la consécration (Certains l'aiment chaud, La Garçonnière), mais aussi d'une sophistication plus accrue.
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La scandaleuse de Berlin |
S'ouvre alors une seconde période marquée davantage par la comédie, élevée au rang de genre majeur, avec des films plus ambitieux, aux structures amples et complexes, dépassant bien souvent les deux heures. Les grands sujets « sérieux » s'installent dans l'œuvre de Wilder – l'affairisme (La Garçonnière), le racisme (La Grande combine, 1966), les idéologies totalitaires (Un, deux, trois, 1961), le foyer américain et ses frustrations (Embrasse-moi, idiot, 1964) – qui, courant après ses galons d'auteur accompli, se donne à chaque fois un nouveau défi de mise en scène. Wilder étend son cinéma aux dimensions de la société américaine, comme pour la croquer toute entière, nourrissant une vision radicalement critique de celle-ci et dissipant par les armes d'une satire de plus en plus grinçante les mensonges et mirages sur lesquelles elle repose : la communication, la manipulation des images, la course aux intérêts, le mythe de la réussite individualiste.
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La Vie privée de Sherlock Holmes (1970) |
La phase crépusculaire
Cette montée en puissance culmine et plafonne au seuil des années 1970 avec l'impressionnant revers de La Vie privée de Sherlock Holmes (1970), variation décapante et mélancolique sur les personnages de Conan Doyle qui fut drastiquement rabotée par United Artists et dont il ne reste aujourd'hui que des vestiges magnifiques. Après quoi le cinéma de Wilder entrera en phase crépusculaire, égrenant encore une poignée de pépites décomplexées, hantées par le passé et comme égarées au milieu des années 1970 (Avanti ! en 1972, Fedora en 1978, produit avec des capitaux européens). Le cinéaste s'éteint le 27 mars 2002 à Beverly Hills, près de vingt ans après avoir tourné son dernier film, Buddy Buddy (1981), dernier tour de piste du duo Jack Lemmon-Walter Matthau qu'il avait lui-même contribué à façonner dans La Grande Combine.
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Fédora |
Vivre sa vie
L'œuvre de Wilder, protéiforme et complexe, se caractérise avant tout par la maestria de son écriture. Preste, incisive, vigoureuse, souple, retorse et syncopée, s'enroulant autour de motifs circulaires ou récurrents (le bracelet de cheville scintillant de Barbara Stanwyck dans Assurance sur la mort, les bouteilles refluant de l'appartement de l'écrivain dans Le Poison), l'écriture wilderienne se conçoit comme une mobilisation complète des ressources du classicisme hollywoodien, mais aussi comme une accélération de celui-ci. L'emportement de ses films, d'une fluidité qui ira jusqu'à frôler la mécanique rutilante (Un, deux, trois), va avec un respect filial pour les canons du genre comique, remontant aux modèles antiques d'Aristophane, Plaute ou Terence, avec leurs personnages de « servus » malins, maîtres des intrigues et des apparences (Walter Matthau dans La Grande combine), leurs déguisements et inversions (le travestissement dans Certains l'aiment chaud), leurs grands motifs de l'appariement amoureux (La Garçonnière) ou du désordre réordonné (Un, deux, trois). Toutefois, l'ironie intempestive, trempée parfois de cynisme, et la conscience adulte dont Wilder investit la transparence classique, ont pour effet de décoller l'apparence des choses : il y a toujours, dans ce cinéma essentiellement dualiste, deux mondes gigognes, deux versions de la réalité qui s'affrontent.
Au début de Sabrina (1954), une jeune fille de domestique regarde, cachée dans un arbre, le monde des riches propriétaires qui s'amuse au loin, au-devant d'elle.
Dans La Scandaleuse de Berlin, la réalité des GIs stationnés à Berlin s'avère bien différente de l'image de dévouement que le commandement renvoie à Washington.
Dans Avanti !, un chef d'entreprise en déplacement découvre une autre réalité que celle des affaires : la suave et gracieuse désinvolture de l'Italie. Derrière le monde de l'image, du calcul ou des intérêts, du capitalisme triomphant et de son cortège de chiffres croissants, se cache quelque chose d'autre, comme la vraie vie, bêtement matérielle, c'est-à-dire le tronc commun des vicissitudes comme des plaisirs humains. En saisissant cela, Billy Wilder touche à l'essence même du cinéma : montrer que la réalité sensible n'est jamais le terme dernier de l'expérience humaine, mais un voile illusoire déguisant ses données premières et son sens véritable. Ainsi son œuvre ne nous enjoint-elle pas à autre chose que de commencer enfin à vivre.
D’après Mathieu Macheret
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La grande combine |
LES FILMS
- Ariane Billy Wilder / États-Unis / 1956 Sa 12 jan 18h45Je 17 jan 17h30
- Assurance sur la mort Billy Wilder / États-Unis / 1943 Ve 4 jan 19h00Sa 12 jan 16h45Di 20 jan 19h00
- Avanti! Billy Wilder / États-Unis / 1972 Ve 11 jan 18h15Di 27 jan 17h45
- Boulevard du crépuscule Billy Wilder / États-Unis / 1950 Sa 5 jan 14h30Me 9 jan 14h30Di 3 fév 17h30
- Buddy Buddy Billy Wilder / États-Unis / 1981 Lu 14 jan 14h30Me 30 jan 17h15
- Certains l'aiment chaud Billy Wilder / États-Unis / 1959 Je 3 jan 20h00Je 31 jan 19h30
- Cinq secrets du désert (Les) Billy Wilder / États-Unis / 1943 Sa 5 jan 16h45Je 17 jan 14h30
- Embrasse-moi, idiot Billy Wilder / États-Unis / 1964 Di 13 jan 18h30Ve 25 jan 18h45
- Fedora Billy Wilder / République fédérale d'Allemagne-France / 1977 Me 9 jan 21h15Me 16 jan 17h00
- Garçonnière (La) Billy Wilder / États-Unis / 1959 Di 13 jan 16h30Ve 25 jan 21h30
- Gouffre aux chimères (Le) Billy Wilder / États-Unis / 1951 Sa 5 jan 19h30Ve 11 jan 14h30Sa 2 fév 14h30
- Grande combine (La) Billy Wilder / États-Unis / 1965 Me 23 jan 17h15Ve 8 fév 19h30
- Hommes le dimanche (Les) Robert Siodmak, Edgar G. Ulmer / Allemagne / 1929 Ve 18 jan 15h30
- Irma la douce Billy Wilder / États-Unis / 1962 Me 9 jan 17h00Di 27 jan 20h45
- Mauvaise graine Billy Wilder, Alexandre Esway / France / 1933 Lu 7 jan 15h00Ve 18 jan 17h30
- Odyssée de Charles Lindbergh (L') Billy Wilder / États-Unis / 1955 Ve 11 jan 21h15Je 24 jan 17h00
- Poison (Le) Billy Wilder / États-Unis / 1944 Je 10 jan 14h30Je 31 jan 17h15
- Sabrina Billy Wilder / États-Unis / 1953 Sa 12 jan 21h30Lu 21 jan 14h30
- Scandaleuse de Berlin (La) Billy Wilder / États-Unis / 1948 Di 6 jan 19h00Ve 1 fév 15h00
- Sept ans de réflexion Billy Wilder / États-Unis / 1955 Ve 4 jan 21h15Sa 2 fév 22h00
- Spéciale première Billy Wilder / États-Unis / 1974 Di 13 jan 21h30Sa 19 jan 21h45
- Stalag 17 Billy Wilder / États-Unis / 1952 Di 20 jan 21h45Sa 2 fév 17h15
- Témoin à charge Billy Wilder / États-Unis / 1957 Di 6 jan 21h30Lu 4 fév 14h30
- Un, deux, trois Billy Wilder / États-Unis / 1961 Di 6 jan 16h45Sa 12 jan 14h30
- Uniformes et jupon court Billy Wilder / États-Unis / 1942 Lu 7 jan 17h00Sa 19 jan 19h30
- Valse de l'Empereur (La) Billy Wilder / États-Unis / 1948 Me 9 jan 19h00Di 20 jan 16h45
- Vie privée de Sherlock Holmes (La) Billy Wilder / États-Unis-Grande-Bretagne / 1969 Je 17 jan 20h15Ve 25 jan 16h15
AUTOUR DE BILLY WILDER
- Death Mills Billy Wilder / États-Unis / 1945
- Portrait d'un homme à 60% parfait : Billy Wilder Annie Tresgot, Michel Ciment / France / 1980 Me 16 jan 20h30
- Stalag 17 Billy Wilder / États-Unis / 1952 Je 10 jan 21h30
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