La nouvelle vague tchèque... Grande rétrospective à la Cinémathèque de Paris du 29 novembre au 4 janvier


Entre 1963 et 1969, le cinéma tchèque, emmené par une jeune génération de cinéastes, connaît un jaillissement de vitalité sans précédent. Entre un réalisme fortement teinté d'ironie et le goût de la métaphore, cette Nouvelle Vague accompagne et aiguillonne les bouleversements alors en cours dans la société tchécoslovaque.

Vers le Printemps de Prague
En 1960, la Tchécoslovaquie est alors arrimée depuis quinze ans au bloc soviétique. Au stalinisme implacable des années 1950 a succédé, malgré les promesses de changement, un statu quo mortifère. Mais sous les slogans toujours ronflants, l'idéologie se lézarde. Pendant les années qui suivent, le cinéma tchèque sera le symptôme continu des métamorphoses d'un système dans l'impasse bousculé par l'impatience de la jeunesse. Il accompagnera le mouvement d'un pays tout entier dans une aventure d'émancipation qui aboutira en 1968 au Printemps de Prague.

Une impressionnante concentration de réalisateurs
Dans les premières années de la décennie, avec Forman, une impressionnante concentration de réalisateurs sort de la FAMU, l'école tchèque de cinéma : Věra Chytilová, Jiří Menzel, Jan Němec, Jaromil Jireš, Juraj Herz, Ivan Passer et d'autres, imprégnés du cinéma d'Eisenstein, de Vigo, de Dovjenko et de Renoir, mais aussi de Godard, Cassavetes ou Shirley Clarke : une radicalité contemporaine aux accents libérateurs souvent teintés de scepticisme existentiel, très loin des injonctions édifiantes du réalisme socialiste.

Le plus bel âge
La recherche du naturel, l'envie de saisir l'air d'un temps soudain rajeuni sont l'impulsion commune des "nouveaux cinémas".
Après Concours, Forman affine son art de portraitiste de la jeunesse à la fois empathique et cruel : c'est l'apprenti un peu balourd de L'As de pique accablé des incessants reproches de son père ; l'ouvrière fleur bleue des Amours d'une blonde, séduite et abandonnée par un garçon aux airs affranchis, mais échappant lui-même à grand peine à la possessivité de ses parents. Les affres du passage à l'âge adulte, l'éternel conflit parents-enfants y jouent sur le mode du récit individuel et subjectif ce qui semble bien tarauder l'époque : le désir de liberté et le passage de relais entravé d'une génération à la suivante.
On en trouve l'écho dans Les Cueilleurs de houblon de Ladislav Rychman, comédie musicale adolescente douce-amère aux allures de West Side Story tchèque, qui prend de surcroît le parti de l'irréductible liberté individuelle contre la tyrannie du groupe.
Proche de Forman, Ivan Passer réalise en 1965 l'une des œuvres les plus nuancées de la période, l'élégiaque et renoirien Éclairage intime, portrait de groupe à la campagne où l'harmonie entre générations n'advient qu'au prix, pour certains, du renoncement et d'une mélancolie sans remède.
Le fond de comédie sarcastique et parfois amère que l'on retrouve dans nombre de films de la période sera plus spécifiquement la marque du benjamin de la Nouvelle Vague, Jiří Menzel. Son premier long métrage, Trains étroitement surveillés, d'après le roman de Bohumil Hrabal, emprunte à l'écrivain le goût des passions inconvenantes (l'oisiveté, l'obsession sexuelle, le refus de l'héroïsme) comme force de négation à opposer à l'adversité (l'occupation allemande). 

Les amours d'une blonde

Fables du totalitarisme
Interdite depuis l'arrivée des communistes au pouvoir, l'œuvre de Kafka est officiellement réhabilitée en 1963. Les paraboles opaques de l'auteur du Procès inspirent un autre versant de la Nouvelle Vague. Josef Kilián, de Pavel Juráček et Jan Schmidt, est une variation kafkaïenne menant son protagoniste anonyme à travers des méandres bureaucratiques où la menace la plus lancinante tiendrait à sa propre culpabilité sans objet. Kafka, le théâtre de l'absurde, et un lien renoué avec la tradition surréaliste praguoise d'avant-guerre se combinent dans une tendance à l'allégorie.
Partant de l'insouciance d'une partie de campagne, La Fête et les invités de Jan Němec (1966) évoque le mécanisme de soumission à une figure arbitraire de l'autorité, vite frappée pourtant du soupçon angoissant de sa vacuité.
La tentation de l'indéchiffrable culmine dans Les Petites Marguerites de Věra Chytilová, dont le coup de génie est d'offrir un écrin de luxuriance visuelle difficilement surpassable (image virtuose du directeur de la photographie Jaroslav Kučera) à un bloc de régression et de pure destruction, et sans doute le témoignage le plus irréfutable de la liberté créatrice désormais possible.

Fin de partie
Au feu, les pompiers, de Miloš Forman (1967), met en scène un bal des pompiers tournant à la débâcle sous le coup de la bêtise et de l'avidité, métaphore transparente d'un système en fin de décomposition.

En janvier 1968, le « socialisme à visage humain » annoncé par Alexander Dubček accélère le changement. La censure est abolie. Le cinéma croit pouvoir enfin se passer d'allusions pour évoquer l'horreur de la période passée (La Plaisanterie de Jaromil Jireš d'après Kundera, L'Oreille de Karel Kachyňa, le magnifique Alouettes, le fil à la patte de Jiří Menzel).
Au feu les pompiers

Mais le 21 août 1968, les chars du Pacte de Varsovie entrent en Tchécoslovaquie et mettent brutalement fin à l'expérience du Printemps de Prague. 
En 1970, la Nouvelle Vague n'existe plus. De nombreux films sont frappés d'interdiction, et pour les réalisateurs le choix est clair : émigrer (Forman, Passer), ne plus tourner, ou composer avec les exigences de médiocrité de l'époque qui s'ouvre, la bien nommée « normalisation ».
Věra Chytilová, après des années d'inactivité, peut réaliser en 1975 Le Jeu de la pomme, comédie acide sur les jeux de pouvoir dans la séduction. Juraj Herz, jadis remarqué pour le glaçant Incinérateur de cadavres, cultive son goût de l'horrifique dans Le Vampire de Ferat, mutilé par la censure à sa sortie.
Regarder rapidement par-dessus la clôture, demander des nouvelles de ce qu'il a subsisté du cinéma tchèque à travers une poignée de films modestes mais tenaces des années 70-80, ne doit pas fatalement être une promesse d'amertume.

D’après Nicolas Le Thierry d'Ennequin

Les petites marguerites
LES FILMS



La Nouvelle Vague tchèque... et après - Bande-annonce from La Cinémathèque française on Vimeo.

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