Persona grata. Remarquable double exposition pour agiter les consciences

L’art contemporain interroge l’hospitalité jusqu'au 20 janvier 2019 au Musée national de l’histoire de l’immigration et au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne.

Enrique Ramirez, La Casa, 2013. Vidéo couleur, son, verre gravé, cadre en bois. Collection MNHI. ©Adagp, Paris, 2018
 "Persona grata, c’est une exposition cri du coeur, celui des artistes contemporains face à l’exclusion de l’Autre. C’est une exposition pour agiter les consciences."

Alexia Fabre, conservatrice en chef du MAC VAL et Hélène Orain, directrice générale du Musée national de l’histoire de l’immigration

Le sens de l’hospitalité 

À l’heure où les débats sur l’accueil des migrants sont particulièrement vifs, le Musée national de l’histoire de l’immigration et le MAC VAL ( Musée d’art contemporain du Val-de-Marne) s’associent dans un projet qui interroge la notion d’hospitalité à travers le prisme de la création contemporaine. Ils interrogent, à travers leurs collections respectives, le sens de l’hospitalité dans nos sociétés. 

Persona grata au Musée national de l’histoire de l’immigration

Accueillir, être accueilli
L’hospitalité est abordée dans sa double acception. Elle est envisagée du point de vue de celui qui accueille et de celui qui est accueilli. Mais l’exposition dévoile également en creux son voisinage troublant avec son antonyme, l’hostilité.
De quelle manière les artistes explorent et donnent à voir l’urgence de la situation, la précarité et l’invisibilité, l’errance, le désenchantement et la répression ? Et plus généralement, les questions du départ et des circulations, du difficile enracinement mais aussi de la main tendue, du rêve et du désir d’ailleurs ?
Autant de thèmes qui rythment le parcours, laissent aux oeuvres la possibilité de coexister, dialoguer dans une pluralité d’engagements et de lectures, en étroite correspondance avec un regard philosophique. Fabienne Brugère et Guillaume le Blanc, auteurs de La fin de l’hospitalité, ont été invités à collaborer à ce projet, ponctuant de leurs écrits les chapitres de l’exposition.
Persona grata, « personne bienvenue » en latin, résonne ici comme un appel.

Appels d’urgence
L’hospitalité naît d’un appel qui est d’abord une action : tout faire pour quitter son chez-soi, revenir à la vie en se jetant à l’eau sur un bateau de fortune, en espérant qu’il tienne le choc. L’hospitalité renvoie à la fragile trajectoire d’un cargo, navire ou barque qui fraie un chemin jusque dans les eaux territoriales d’une nation tiers. L’hospitalité est alors un petit dispositif précaire. Elle naît de l’appel du large, engendré par l’urgence d’une détresse. Nos démocraties peuvent-elles encore entendre les appels sans les éloigner au delà de nos murs ?

Désenchantement
On ne naît pas étranger, on le devient. Si l’art a souvent magnifié le noble étranger tel Ulysse, il reste que les migrations contemporaines sont le plus souvent celles de sujets maudits, sans cesse renvoyés aux pièges tendus par les États-nations dominants. L’espace qu’il remplit est l’espace de l’hostilité, une lande indéfinie, une entrée-sortie sans avenir, un dedans-dehors permanent. 
Eléanore False, No division No cut, 2016. Laine, teinture, tissage, Collection de l’artiste. © Guillermo Rosas
La main (dé)tendue
Il existe un monde délabré de l'inhospitalité qui renvoie à nos décisions de ne pas accueillir. Et s’il nous arrive au mieux de secourir des vies dont le pronostic vital est presque engagé, c’est pour les laisser sur le trottoir l’instant d’après, hors de tout dispositif d’accueil. Si nous savons encore secourir, nous ne savons plus accueillir. Pourtant l’hospitalité est accueil ; elle vise à restituer un lieu pour une vie privée de lieu.

Should I stay or should I go ?

Vivre ensemble, c’est mettre fin à l’hospitalité. Rien ne serait pire que d’être éternellement hospitalier. Ce serait comme laisser quelqu’un à l’entrée de sa maison en lui disant, « je vous en prie, faites comme chez vous ». Cette phrase annule la possibilité d’être chez soi en maintenant la distance entre le citoyen d’une nation et son visiteur du soir. Comment celui-ci peut-il devenir un véritable résident ?

Désirs d’horizons
Le plus souvent, les exilés trouvent refuge dans un pays voisin. L’horizon imaginaire de la mer ne disparaît pas pour autant. Nous la pensions frontière, cimetière, elle scintille aussi comme un espace interminable, indéterminé, sans limites, sans drapeau qui la représente. Dans cet espace autre, c’est toute notre vie politique qui se réinvente.
Il nous faut 
réinventer une politique de la bienveillance en laquelle chacune, chacun peut dire à voix haute : que faites vous de moi ? 
Zineb Sedira, MiddleSea, 2008. Vidéo, couleurs, son, 19’ Collection MNHI. ©Adagp, Paris, 2018

Persona grata au MAC VAL 
L’accroissement des flux migratoires occupe une place grandissante dans un débat public dont l’influence tend à bousculer les fondements de nos valeurs constitutionnelles. Une dynamique organisée de contrôle des frontières semble ainsi opérer un renversement irréversible du devoir d’hospitalité tandis que des mobilisations associatives et citoyennes s’amplifient, osant si besoin la désobéissance civile, pour soutenir et accueillir les plus fragilisés.

La distance de l’art
À leur manière, les artistes s’emparent de ces sujets. Certains témoignent, tandis que d’autres produisent des oeuvres qui, avec la distance de l’art, autorisent une appréhension autre de notre réalité contemporaine.
Les oeuvres réunies ici dévoilent des frontières métaphoriques et esquissent une cartographie symbolique des zones et groupes humains les plus sensibles. Elles évoquent les sources de l’hospitalité, rappellent son effectivité passée, convoquent des images liées à l’impérativité du départ, à la réalité du déplacement, aux formes incarnées du déracinement. 
(extrait du texte de Ingrid Jurzak, commissaire de l’exposition)

Quelques oeuvres de la double exposition

Kimsooja, Bottari Truck - Migrateurs, 2007-2009. Collection Musée national de l’histoire de l’immigration

Pierre HUYGHE, Streamside Day, 2003. Film super 16 mm et vidéo transférés sur Digibeta 4/3, couleur, son, 26’. Collection MAC VAL
Xie Lei, Me and I, 2015. Huile sur toile. Collection de l’artiste – photo © Courtesy de l’artiste
Quelques données utiles sur les migrations
En 2017, 258 millions de personnes vivaient dans un autre pays que celui où elles sont nées. Ces migrants internationaux représentent 3,4% de la population mondiale.
En Europe, la «crise migratoire» correspond à un pic de 1,8 millions d’entrées en 2015, avant une baisse drastique. Aujourd’hui, le nombre de nouveaux arrivants est revenu à son niveau d’avant 2013 : environ 100 000 nouvelles entrées chaque année (sur un continent qui compte 450 millions d’habitants), suite aux accords avec la Turquie et la mise en place de hot spots dans les pays de départ.
En 2014, 6 millions d’immigrés vivaient en France (9% de la population totale, soit la même proportion que dans de nombreux autres pays européens).
En France, le nombre de demandeurs d’asile est en augmentation régulière depuis plusieurs années. En 2017, 100 412 personnes ont demandé la protection de la France et 43 000 l’ont obtenue.
262 000 personnes ont été autorisées par un titre de séjour à s’installer sur notre territoire en 2017 mais autant l’ont quittée. De ce fait, le solde migratoire (la différence entre les entrées et les sorties) est quasi nul depuis plusieurs années en France.

Sources : Organisation internationale pour les migrations, Frontex, INSEE, Office français de protection des réfugiés et des apatrides, Ministère de l’Intérieur.

Pierre HUYGHE, Streamside Day, 2003. Film super 16 mm et vidéo , couleur, son. Collection MAC VAL


MUSÉE NATIONAL DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION
293, avenue Daumesnil - 75012 Paris - www.histoire-immigration.fr

MAC VAL - MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN DU VAL-DE-MARNE
Place de la Libération - 94400 Vitry-sur-Seine - www.macval.fr

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