Le film de la semaine : Mes Provinciales, éducation sentimentale et illusions perdues de la jeunesse


Etienne (Andranic Manet) abndonne sa vie lyonnaise pour venir à Paris étudier le cinéma.

Mes provinciales, réalisé par Jean-Paul Civeyrac (voir sa rétrospective à la Cinémathèque de Paris)  raconte l'histoire d'Etienne, jeune étudiant, fraîchement arrivé de province à Paris pour y faire des études de cinéma. Il y rencontre Mathias et Jean-Noël qui vivent de la même passion. Durant son année à l'université Etienne se trouve confronté à ses désillusions et à la complexité des relations...

La note : 4/5 
Le film rend un portrait à la fois réaliste et romanesque de la vie étudiante, avec le quête de ses convictions, de ses ambition, de la complexité relationnelle... Images de toute beauté !


Corentin Fila, Gonzague Van Bervesseles et Andranic Manet,
  Mes Provinciales de Jean-Paul Civeyrac.


Critique


Dressant un récit sous forme "d'éducation sentimentale", Jean-Paul Civeyrac aborde les sujets qui touchent la jeunesse étudiante : l'amitié, l'amour, la politique, la philosophie ....Ces jeunes gens sont imprégnés de philosophie, de littérature, de musique et surtout passionnés de cinéma.

Les personnages se démarquent par des personnalités complexes. Etienne pourrait être qualifié de naïf de par son illusion de l'utopie parisienne. Il est à la fois mélancolique et enfantin, poussé par ses impulsions premières et ses difficultés à reconnaître ses torts.

En face, Mathias représente la figure de l'artiste idéal pour Etienne, qui lui accorde une crédulité et une admiration absolues. Mathias s'exprime de manière très éloquente et tient des propos très intellectuels qui fascinent Etienne. Seule la critique de Mathias compte pour lui. Cette admiration s'explique sûrement par le décalage dans leur maturité, Etienne ne sachant pas encore ce qui le pousse vers le cinéma. On ne sait que très peu de choses sur la vie de Mathias, rien de son passé, de son lieu de vie, ni qui il est vraiment. Il disparaît d'ailleurs régulièrement de la faculté ou de Paris pendant plusieurs jours sans donner d'explication, ce qui renforce son coté mystérieux. Et c'est alors que l'on croit avoir cerné ce personnage, que l'on découvre sa faille. 


Les relations et leur évolution semblent constituer le thème central du film. On sent tout au long du film comment le personnage d'Etienne s'écarte de sa vie passée à Lyon où ses rencontres n'étaient, amicalement et sentimentalement, pas aussi abondantes. En couple depuis plusieurs années, il se retrouve dans une ville où les tentations sont nombreuses. Amené à tromper (sa compagne) il se questionne sur la portée et le sens du mensonge. Peut-on se mentir à soi-même ? Ce questionnement, traduit à travers un dialogue avec sa colocataire, rejoint des thèmes et références philosophiques récurrentes à Pascal, tout particulièrement sur le thème de "l'imposture". La discussion conduit peu à peu Etienne " à ne pas se mentir à lui-même, à ne pas s’illusionner sur ses propres capacités, artistiques et sentimentales. Par exemple, à ne pas s’imaginer fidèle quand il ne l’est pas". 

Etienne se retrouve au fur est à mesure confronté à la réalité du cinéma, où il s'imagine plus capable qu'il ne semble l'être. Ce thème de la désillusion et de l'ambition rentrent en résonance avec le propre vécu du réalisateur : "on est soudain confronté à ce qu’on fait, à ce que l’on peut faire, on quitte le rêve flou de ce que l’on croyait être capable de faire. C’est brutal, douloureux, on tombe parfois dans des trous abominables" (JPC).

Un film visuellement très beau


Le choix du noir et blanc donne une gravité supérieure au film et lui confère une certaine intemporalité, opérant peut-être ce rapprochement autobiographique, bien que le sujet soit bien ancré dans le présent d'aujourd'hui. Ce choix est aussi esthétique, car il permet d'obtenir des images extrêmement photographiques, toujours propres, très belles tout particulièrement dans le rendu des visages qui sont souvent filmés en gros plan dans un contraste d'une pleine ombre. Pour Jean-Paul Civeyrac "filmer Paris en noir et blanc, c'était tenter de lui conférer quelque chose de romanesque, de restituer un peu de cette aventure que vit tout provincial en découvrant (la ville), c'est-à-dire au fond, de lui donner une beauté toute particulière". Cette image romanesque est accompagnée d'une musique classique, principalement de Bach, ou Gustav Mahler (Mort à Venisece qui donne, par moments, des passages mélodramatiques un peu trop soulignés.



Auteur : Vadim Grognet Essaïan
Mes provinciales
Sortie salles : 18 avril 2018
Réalisation : Jean-Paul Civeyrac
Avec : Andranic Manet, Gonzague Van Bervesselès, Corentin Fila, Sophie Verbeeck, Jenna Thiam, Nicolas Bouchaud, Diane Rouxel, Charlotte Van Berversselès…
Scénario : Jean-Paul Civeyrac
Production : Frédéric Niedermayer
Photographie : Pierre-Hubert Martin
Montage : Louise Narboni
Décors : Brigitte Brassart
Costumes : Claire Dubien
Son : François Méreu



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