Les Gangsters de la finance”, enquête édifiante sur la banque HSBC
Blanchiment de l'argent des cartels, fraude fiscale, corruption, manipulation des cours… : depuis la crise de 2008, la banque HSBC est au coeur de tous les scandales. Cinq ans après leur film sur Goldman Sachs, Jérôme Fritel et Marc Roche passent au crible cet empire financier au-dessus des lois.
Le 12 décembre 2017 à 20.55 sur ARTE
les excès et les dérives de la finance internationale
Cinq ans après la diffusion sur ARTE Goldman Sachs. La banque qui dirige le monde, Jérôme Fritel et Marc Roche explorent les rouages d’une banque de détail, « de coin de la rue », qui, derrière son affichage paisible, dissimule une grande variété d'activités délictueuses.Créée à Hong Kong, il y a un siècle et demi, par des commerçants écossais liés au trafic d’opium, HSBC (Hongkong and Shanghai Banking Corporation) n’a cessé de prospérer en marge de toute régulation. Aujourd’hui, la banque britannique à l’ADN pirate incarne à elle seule les excès et les dérives de la finance internationale. Blanchiment de l’argent du crime – celui des cartels de la drogue mexicains et colombiens –, évasion fiscale massive, corruption ou manipulation du cours des devises et des taux d’intérêt : depuis la crise de 2008, ce géant a été mêlé à de nombreux scandales avec régularité et en toute impunité. Car l’opaque HSBC, experte en sociétés-écrans, dont les coffres débordant d’argent liquide déposé par ses clients discrets et douteux, est devenue too big to jail, « trop grosse pour aller en prison ». La banque, riche de quelque 3 000 milliards de dollars, s’en tire chaque fois avec des amendes dérisoires. Trait d’union entre l’Orient et l’Occident, elle sert aussi désormais de pipeline pour les centaines de milliards d’euros de capitaux chinois partant à la conquête des marchés occidentaux. HSBC navigue aujourd’hui sous pavillon rouge.
Les banques d'affaires sont-elles au dessus des lois ?
Jérôme Fritel et Marc Roche plongent dans les arcanes d’un empire tentaculaire qui se cache derrière sa vitrine de banque de détail britannique. De Hong Kong aux États-Unis en passant par l’Europe, cette édifiante enquête révèle non seulement l’ampleur ahurissante des malversations commises par HSBC, mais éclaire aussi– avec une remarquable limpidité – les menaces qui se profilent sur la stabilité financière mondiale, dix ans après la crise des subprimes. Le documentaire sera suivi à 22.25 d’un entretien avec l’auteur Marc Roche
Entretien avec Jérôme Fritel
L’histoire d’HSBC est indissociable de celle de Hong Kong... Jérôme Fritel : Cette banque est née en même temps que Hong Kong et leur histoire est intimement liée. À l’origine petit port de pêche, la ville s’est développée grâce au commerce – légalisé à l’époque – de l’opium entre la Grande-Bretagne et la Chine, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Créée par des trafiquants, HSBC a ainsi dès l’origine des méthodes de pirate. Depuis la rétrocession en 1997, elle a choisi de localiser son siège au Royaume-Uni, mais elle réalise les trois quarts de ses profits et de son business en Asie, et notamment en Chine. À la différence des autres grandes banques, adossées à un pays, cet empire financier n’est donc sous le contrôle d’aucun régulateur, ni des autorités britanniques, auprès desquelles elle est déjà trop puissante, ni des chinoises, qui ont besoin d'elle. Institution supranationale et pionnière de la mondialisation, HSBC gagne à tous les coups ! Et comme le montre le film, en matière financière, Hong Kong reste une sorte de Far West...Vos interlocuteurs décrivent des valises de billets et des millions en argent liquide déposés dans ses coffres... Contrairement à Goldman Sachs, qui incarnait la finance sophistiquée, HSBC tient de la banque de détail traditionnelle, où l’on fonctionne avec des flux de cash, que l’on cherche à faire tourner. Quelqu’un dit que cette banque, − qui a créé le plus de sociétés offshore −, constitue la plus formidable blanchisseuse d’argent à l’échelle mondiale.
Quels sont les scandales majeurs qui l’ont éclaboussée depuis une décennie ? Par rapport à ses concurrentes, HSBC a été relativement épargnée par la crise américaine des subprimes, notamment grâce à son marché en Asie. Elle a même affiché un bilan positif à la fin de l’année. Il ne faut pas oublier que cette banque n’a jamais perdu d’argent. Mais depuis 2008, elle a été impliquée dans une série hallucinante de scandales, tous ceux, pour résumer, que la finance a connus. Elle a notamment été reconnue coupable de blanchir l’argent des cartels de la drogue mexicains et colombiens, avec d’évidentes complicités internes, à hauteur d’un milliard de dollars. Elle est aussi la seule à avoir été mêlée à l’affaire SwissLeaks, ce réseau d’évasion fiscale massive vers la Suisse. Avec d’autres banques, elle a également été condamnée pour manipulation du cours des devises – 5 000 milliards de dollars échangés quotidiennement.
Comment expliquer l’impunité dont ont bénéficié ses dirigeants ? Bien qu’il s’agisse de personnes physiques, leur responsabilité individuelle n’est jamais reconnue. Les banquiers bénéficient auprès de la justice d’une incroyable mansuétude. On préfère condamner les institutions bancaires à de lourdes amendes. De son côté, le gouvernement britannique a protégé HSBC comme les bijoux de la couronne, d'autant que la banque fait du chantage économique. Que le PDG de HSBC, Stephen Green, soit devenu en 2010 ministre dans le gouvernement de David Cameron n'a gêné personne outre-Manche. Certes, quand le scandale SwissLeaks éclate, il n’est plus ministre, mais on peut légitimement s’interroger sur ce que les autorités savaient. Cinquième puissance financière mondiale si elle était un État, cette banque a inventé le concept too big to jail, "trop grosse pour être condamnée" : au-dessus des lois.
Une sénatrice américaine s’est tout de même émue de cette justice à deux vitesses... Elizabeth Warren, sénatrice démocrate du Massachusetts, a mis les pieds dans le plat. Elle s’est indignée du fait que ceux qui blanchissent l’argent de la drogue dorment tranquillement chez eux, alors qu'on sanctionne la vente de 30 grammes de cocaïne de prison, et même de la perpétuité en cas de seconde arrestation.
La finance mondiale a-t-elle, selon vous, gagné contre la démocratie ? Il faut éviter tout manichéisme, mais face à de tels géants, les démocraties sont faibles, d’autant que la crise de 2008 a appauvri et fragilisé les États. Dix ans après, le rapport des forces s’est encore détérioré au profit des établissements financiers. On note aussi une volonté politique de passer à autre chose, et de cesser de dénigrer les banquiers, même si les comportements à risques, encouragés par l’impunité, n’ont pas changé.
Le film montre que la menace de déstabilisation augmente, avec l’afflux des capitaux chinois qui partent à la conquête des marchés occidentaux… Aujourd’hui, la Chine est le nouvel acteur financier dominant. Désormais banquier du monde, elle détient les plus grandes réserves de change de la planète, et peut intervenir sur les marchés pour faire varier le cours des monnaies. Dépositaire de l’ambition chinoise de devenir une grande puissance financière, HSBC constitue ainsi la principale courroie de transmission entre Pékin et le reste du monde. Compte tenu du profil de cette banque, et de l'opacité du Parti communiste chinois quant à la régulation de la finance, c’est tout sauf rassurant.
LE POIDS ÉCONOMIQUE ET FINANCIER D’HSBC
HSBC gère près de 3 000 milliards de dollars d’actifs et a employé jusqu’à 300 000 personnes, (soit plus que la population d’une ville comme Strasbourg). Si HSBC était un pays, elle serait la 5ème puissance mondiale.Elle est la 2ème banque mondiale de détail si l’on écarte les banques chinoises, qui par leur taille, détrônent toutes les banques occidentales.
PANAMA PAPERS
Dans le scandale des Panama Papers, HSBC arrive largement en tête des banques qui ont créé le plus de sociétés écrans, avec 2 300 entités ouvertes auprès du cabinet d’avocat panaméen au cœur du scandale, Mossack Fonseca. La banque achetait ces structures clés en main quelques centaines de dollars et les refacturaient à ses clients plusieurs milliers de dollars. Hong Kong est la place financière où était domiciliée la majorité de clients et d’intermédiaires du cabinet d’avocat.
LA CHINE BANQUIER DU MONDE
La Chine détient les plus grandes réserves de devises au monde : l’équivalent de 3 000 milliards de dollars (plus que le PIB de la France) libellés à 70% en dollars et à 20% en euros, le reste est en yens et en livres sterlings. Il y a deux ans, elles étaient supérieures à 4 000 milliards de dollars. Enrayer la fuite des capitaux est devenue une priorité du gouvernement chinois. Depuis 2015, la Chine est exportatrice nette de capitaux, c’est à dire que le montant des capitaux chinois investis dans le monde est supérieur à celui des capitaux étrangers investis dans l’Empire du Milieu. Ces investissements ont triplé ces dernières années, entre 2010 et 2015, et se concentrent sur les secteurs technologiques et stratégiques occidentaux comme l’industrie nucléaire. HSBC est la banque privilégiée des autorités chinoises pour accompagner ces investissements.
LA NOUVELLE ROUTE DE LA SOIE ET L’INTERNATIONALISATION DU YUAN
«La nouvelle route de la soie», est le nom des grands travaux lancés par le président chinois, Xi Jinping, le nouvel « Empereur rouge » : près de 1 000 milliards de dollars consacrés à la construction de routes, de ports, de barrages, de centrales, pour exporter le made in China et développer l’influence internationale de Pékin. C’est l’équivalent du plan Marshall. À travers ces investissements colossaux, la Chine entend imposer sa monnaie, le yuan (ou renminbi, RMB), comme une devise internationale au côté du dollar et de l’euro, et devenir aussi une grande puissance financière internationale. La banque HSBC, l’une des plus importantes sur le marché de devises sur lequel s’échangent chaque jour 5 300 milliards de dollars est la banque étrangère favorite de Pékin pour convertir sa monnaie.
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