Entretien avec Jason Hill, compositeur fétiche de David Fincher

Pour tout savoir sur Gone Girl et Mindhunter

Entretien avec Jason Hill, compositeur

Quelle a été votre formation musicale et qu’est-ce qui vous a conduit à la musique de film ? Je suis né en jouant dans des groupes et en enregistrant des disques. J’ai fondé mon premier groupe à l’âge de treize ans alors que je ne connaissais que trois accords, et jusqu’à ces dernières années, je jouais encore dans différentes formations. Mais c’est enregistrer qui me passionnait, j’aime tout ce qui tourne autour d’un enregistrement. C’est mon pays des merveilles. J’ai commencé à tourner en Californie, où je suis né, et à 18 ans, j’ai intégré le circuit Californien. Puis j’ai signé quelques contrats de disques et j’ ai commencé à tourner dans tous les Etats-Unis. En 2003, j’ai enregistré un disque intitulé Louis XIV avec mon groupe, tout récemment constitué à l’époque, le Louis XIV, et un an et demi après nous signions chez Atlantic et commencions une longue tournée mondiale, en Europe, au Japon, aux Amériques. En 2010, un peu fatigué de faire et défaire mes bagages sans arrêt, je me suis installé à Los Angeles, pour vivre de nouvelles aventures, davantage axées sur la production de disques. Entrer dans l’univers de la musique de film m’avait toujours attiré, mais je redoutais de travailler avec de mauvais réalisateurs sur de mauvais films. Et puis David Fincher est arrivé, et j’ai ressenti le désir profond de travailler avec lui. Cela m’a forcé d’approcher la musique d’une façon nouvelle, d’apprendre à nouveau, de remettre tout en question pour trouver de nouvelles couleurs musicales. C’est ce qui était sans doute le plus excitant : la découverte.




 Comment avez-vous été contacté pour composer la musique de cette série ? J’avais d’abord été contacté par David Fincher, par l’intermédiaire de Cean Chaffin, son producteur, pour faire la musique de la bande annonce de Gone Girl. Trent Reznor et Atticus Ross an avait écrit la BO mais pour diverses raisons David voulait quelque chose de différent pour la bande-annonce. Cean et David étaient des fans de certains de mes disques (Louis XIV, Vicky Cryer). Il avait en tête de faire chanter à Richard Butler, du groupe Psychedelic Furs, la chanson de Charles Aznavour She. Elle avait été relancée par Elvis Costello dans la BO du film Notting Hill : une version très sirupeuse qui passe à côté du sujet de cette chanson qui traite des déchirements de la co-dépendance. Mon travail fut d’écrire une version sombre qui évoquent vraiment les relations tordues entre ces deux personnages complètement asservis l’un à l’autre. David me donna rendez-vous et il vint me voir dans mes anciens studios de Laurel Canyon, à Los Angeles. Nous nous sommes très bien entendus. J’ai mis tout ce que j’avais dans le projet pour produire une version étonnante avec des choeurs et une orchestration luxuriante et un arrangement très original des parties instrumentales. Après cela, David m’a demandé si je voulais travailler sur sa nouvelle série pour HBO, Videosyncrasy. Il était sur le point d’en commencer la production. L’action se déroulait en 1983, aussi je décidai de n’utiliser que du matériel antérieur à 1984. Ce fut passionnant de travailler environ six mois sur ces techniques d’enregistrement des années 80, à la façon des enregistrements de Frankie Goes to Hollywood, où ceux des atmosphères de The Fixx ou Kraftwerk. Il s’agissait de reconstituer l’esprit du temps. Mais la production a été soudainement arrêtée au milieu du tournage. J’étais anéanti, comme tous ceux qui travaillaient sur le projet mais qui se résignaient en pensant : « quelle poisse, il n’y a plus qu’à attendre le prochain job ! » Moi j’avais trop de mis de mon âme dans cette musique et je n’étais pas coutumier des tapis roulants des productions ciné ou télé. Aussi je me suis battu pour trouver par quelles voies je pourrais comprendre et résoudre les problèmes qu’il y avait avec cette production. Je pense que David a compris que pour moi ce projet n’était pas qu’un simple boulot. Quand je m’investis dans un projet, je m’y investis totalement, jusqu’à la moindre parcelle de moi-même. Aussi Fincher m’a dit qu’il avait quelque chose d’autre sur lequel nous pourrions travailler ensemble, au début de l’année suivante, c’est-àdire deux mois plus tard. A Noël 2015, j'ai reçu un coup de téléphone pour composer la musique de Mindhunter. David maîtrisait la situation et j’avais de la chance de pouvoir être dans le coup. Il m’a envoyé le script que j’ai beaucoup aimé : il correspondait vraiment à la veine artistique que je privilégiais à l’époque. Je voulais plonger dans la noirceur et voir quel souffle en remontait.


Comment s’est déroulée votre collaboration avec le réalisateur? Pouvez-vous nous dire quelques mots du processus de création de cette BO ? C’est vraiment très agréable de travailler avec David. Je ne le dirai jamais assez. Il m’a laissé trouver ma voie. C’était ma première vraie BO et je devais composer dix heures de musique. Les compositeurs avec qui il avait travaillé précédemment étaient des dieux de l’arène comme David Shire (All the Presidents Men) qui travaillait avec DF on Zodiac and Jeff Beal (House of Cards). J’aime l’univers sonore que Jeff a inventé pour House of Cards. Et bien sûr Trent et Atticus. J’ai d’abord commencé par esquisser tous les thèmes pendant un an et demi, ce qui est très amusant. Il m’a fallu quelques mois pour vraiment trouver la couleur sonore qui allait nourrir la série. David est très structuré et pointu. Nous nous sommes mis d’accord sur quelques points abstraits, en essayant de trouver les modulations que nous voulions développer et ne pas soustraire du scénario. Surtout il stimulait des parts de mon inspiration que je me mettais à explorer. J’ai commencé à lui envoyer des esquisses de musique, et particulièrement des paysages sonores sombres. De nombreuses expérimentations nous ont permis de repousser les frontières et de voir ce qui plaisait à chacun de nous. Je lui envoyai mes essais et il les commentait très rapidement, dans les dix minutes. Il a été formidable de me répondre aussi vite, un tel feedback est très stimulant parce qu’il intervient au moment où l’on vit encore dans le monde du morceau que l’on vient de créer. Il pilotait juste un petit peu. S’il aimait il le disait, et s’il y avait un aspect qui lui plaisait vraiment, il était capable de le définir exactement. En revanche, si un instrument ne lui plaisait pas, il le disait également. S’il a fait une remarque avec laquelle je n’étais pas d’accord ? Je ne me souviens d’aucune… Ses commentaires, toujours précis et encourageant, m’ont engagé dans la bonne direction. De ce point de vue, c’est un vrai patron, il donne l’envie de le suivre, et plus encore, de se hisser à son niveau. En outre c’est l’un des travailleurs les plus acharnés que je connaisse et il vous pousse à en faire autant. Un jour que je lui demandai un mot pour guider mon inspiration, il est revenu avec « aqueux », et c’est exactement ce que cette BO est devenue : aqueuse ! 




Justement, quelle sorte de musique avez-vous cherché à créer ? Je me suis fixé comme règle principale l’originalité. Je voulais qu’après deux secondes, le public soit capable de reconnaître cette musique comme différente. Pas question d’utiliser des banques de fichiers sonores, je voulais confectionner mes propres sons moi-même à partir d’une source spécifique. La musique devait être sombre, et dès le premier jour, j’ai commencé à jouer de cette façon sur mon piano ou sur un autre instrument, à emprunter cette veine mélodique qui serait le coeur de tout l’univers sonore de la série. Je devinais intuitivement que les meilleurs morceaux exigeraient une part d’improvisation, improvisations que je m’empressais d’enregistrer et qui suscitaient ensuite d’autres improvisations « dansant » avec les précédentes… et ainsi de suite. Ne pas savoir ce que je vais jouer avant d’enregistrer est un axiome fondamental de la manière dont je compose. Je procède par stratifications successives. J’aime découvrir et garder de ce moment de découverte sa dimension pure et naturelle, afin de créer un véritable dialogue entre le temps et l’espace. Dans la vie réelle les conversations se superposent mais il y a aussi des espaces d’écoute. Ma musique cherche à créer cet espace. Et pour Mindhunter, je voulais qu’il soit important. 

 Comment l’enregistrement s’est-il déroulé ? Au tout début, j’ai commencé par m’amuser avec des verres de vin en cristal disposés sur deux rangées comme les touches d’un piano. J’ai posé l’ensemble sur la moitié d’un étui à guitare en velours puis arrimé les verres à l’étui et l’étui sur des pieds de table. Les dispositifs étant bien assemblés entre eux, je pouvais ainsi jouer avec les verres. En tirant ou poussant la table/étui j’ai trouvé que je pouvais obtenir des notes différentes en fonction du mouvement de l’eau dans les verres. Cette idée a permis de donner son premier élan à la BO. David a aimé immédiatement ce procédé. J’ai également trouvé un orgue de verre à louer pour compléter l’ensemble. Et j’ai fait des centaines de choses comme cela pour trouver l’inspiration. En particulier, j’ai pu échantillonner les sons des verres de vin puis tordre ce son par un jeu de réverbération et d’échos en les passant dans une boîte à rythme. (Comme dans le morceau Fantaisies.) On peut ensuite déclencher ces sons très tendus à partir des touches d’un clavier. Ce qui donne un rendu très différents que si vous aviez utilisé un clavier classique. Ainsi j’ai obtenu un son qui m’était propre et j’ai pu arriver à quelque chose de surprenant aussi bien dans les rythmes que dans les tempos. Ces premières boîtes à rythme avaient leur propre swing. Mais maintenant j’en avais un contrôle qui me permettait de les associer avec les échantillons des sons des verres. J’obtenais alors une sonorité d’une octave plus basse que ce que j’aurais pu obtenir par rapport à la réalité, ce qui rendait un son plus bizarre et tourmenté. Pour la voix de dessus, j’ai improvisé une partie de violons et de cloches et c’est devenu Fantaisies. J’ai enregistré la presque la totalité de la BO seul dans un studio. Et j’ai imaginé, comme un gosse, plein de choses qui n’existent pas dans les jeux musicaux habituels. J’ai aussi pu compter sur des amis, Sean Payne et Davide Rossi, pour jouer avec moi. Comme je n’ai pas souvent quitté le studio tant c’était amusant, mes amis, pour me voir, devaient venir au studio et j’en profitais pour les faire bosser. 

 Selon vous quel est le rôle de la musique dans un film ? Cela dépend bien entendu du film, mais idéalement la musique permet de rendre l’image plus émouvante, passionnante, profonde. Elle permet de créer une atmosphère plus intense en l’enrichissant d’une dimension sonore. Cet univers sonore est très important. Quand il est riche, les résultats sont extraordinaires, mais quand la musique est pauvre les résultats peuvent être insupportables… autant écouter du linoléum.

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